Quand j’ai commencé à parler d’Antarctique, Virginie a été une des premières à s’enthousiasmer pour mon projet. Virginie est institutrice à l’école primaire de La Fouillade, un village voisin de Najac où j’habite. C’est donc tout naturellement que nous avons convenu de quelques interventions auprès des élèves de son école. Puis j’en ai parlé avec le conseiller en charge de la culture à Najac. Il m’a mis en contact avec Bélinda, la directrice de l’école primaire de Najac.
Une visite dans les écoles : à la rencontre des élèves
Avec le recul, je pense que c’était important que les enfants me voient en chair et en os avant mon départ, avant qu’on discute par visioconférence, comme nous le faisions tous les mois jusqu’aux grandes vacances.
Et ça a été une super expérience. J’envoyais tous les mois quelques photos. Ça me permettait de faire le point sur ce qui s’était passé à Dumont D’Urville. Les institutrices les montraient aux élèves. Elles m’envoyaient leurs questions. Puis, lors des visios, les élèves s’adressaient directement à moi.
Bref, l’année s’est très bien passée de mon point de vue. Et en juin, les élèves de La Fouillade m’ont dit au revoir avec de petits exposés et des dessins de remerciement. Puis, ils sont partis en vacances.
A la rentrée, c’est une nouvelle classe (avec quelques anciens) qui s’est présentée à moi. Ils étaient aussi enthousiastes à la vue du paysage de banquise que l’année précédente. Ils avaient toujours des questions mignonnes et intéressantes. On va encore faire une dernière visio avant que je ne reprenne le bateau pour Hobart. Et, qui sait, je passerai sûrement les voir en mars en France.
En France, j’écoute beaucoup de radios et de podcasts. A Dumont D’Urville, c’est impossible d’avoir la radio : les ondes hertziennes ne nous atteignent pas, et les sites de streaming – dont Radio France – sont interdits pour préserver la bande passante de la station. Quand, au cours de l’hivernage, on a eu accès à Starlink, la connexion est restée mauvaise et la radio inaudible.
Il reste les podcasts. J’en avais fait une énorme collection avant de partir et j’en ai trouvés plein sur place aussi. Ils sont en libre-service sur un serveur nommé Adélix, tout comme les films, la musique, les répertoires personnels. Je ne suis pas la seule à en écouter beaucoup.
On les écoute au travail, dans sa chambre, à la salle de sport, en balade. Les espaces privés, la chambre ou la salle de bain sont petits et doivent rester relativement silencieux, donc le casque est obligatoire. Certains ont les écouteurs sur les oreilles en permanence. Je n’ai pas d’airpods mais vu que la chambre est petite et que je travaille sur PC, je n’ai pas été limitée dans mes mouvements par la longueur du câble.
Des podcasts j’en fais aussi
Je n’ai pas de goût pour la vidéo. J’ai pris un bon appareil photo en venant à DDU, mais ce n’est pas une passion et je n’ai pas le savoir-faire. Je suis plus à l’aise avec l’audio.
Juste avant mon départ, une radio associative s’est montée dans mon village. J’ai discuté avec les responsables de l’opportunité de faire des podcasts de ma mission en Terre Adélie. On a défini le format : ce serait des cartes postales sonores. J’y parlerais à la première personne, en décrivant l’environnement, ce serait 2-3 min à chaque fois, etc. J’ai fait un stage avec l’association Media Commun (deux jours de prise de son et de montage).
Je me suis munie d’un petit Zoom H1 et j’ai commencé à enregistrer. Pendant le voyage, durant la campagne d’été 2023-2024, j’ai beaucoup enregistré et pendant l’hivernage j’ai fait encore des dizaines d’enregistrements. J’ai donc à ma disposition des pistes et des pistes de sons de DDU. Puis au début de l’hivernage, j’ai commencé à monter tout cela…
Pour vous dire la vérité, on avait discuté avec La Locale de faire des podcasts sans montage. Je n’ai jamais réussi à faire un enregistrement d’une qualité suffisante. J’ai besoin qu’il y ait un début, une histoire et une chute. Bref, j’écris tout. J’ai investi une pièce vide où je m’enregistrais et j’ai fais un brin de montage. Puis j’ai envoyé les fichiers (au bon format, avec la terrible connexion de DDU) et Gérald de la Locale a mixé les sons. Ça m’a pris des heures et des heures pour 3min d’enregistrement. J’avais prévu d’en faire 5, j’en ai fait 2.
Les voici sans le mixage de Gérald :
Dans l’astrolabeJournée de travail (partie 1)Journée de travail (partie 2)
Cet été à Dumont d’Urville (DDU), il y avait de l’eau tout autour de l’île des Pétrels. C’est à dire que les îles étaient libres de glace. On y allait avec deux petites embarcations. J’ai eu l’occasion de naviguer sur un de ces deux bateaux.
Officiellement, j’étais là pour mettre en place une assistance à la petite navigation. L’idée était de fournir une estimation de l’état de la mer à partir du vent à DDU (53 m plus haut). Pour ça, il fallait que je discute avec Célestin de la définition de l’état de la mer, et des critères pour un état de la mer acceptable à DDU. Officieusement, je suis en balade pendant 6h dans les îles autour de Pétrels.
Manchots dans l’Anse du Lion
Nous nous sommes donc retrouvés le 24 janvier 2024 avec Coline (coordinatrice scientifique) et Célestin (pilote) à l’abri côtier, pour une journée bien complète. Pour commencer, on va chercher les Vincents à Prudhomme pour les déposer sur l’île du Navigateur. Ce sont deux glaciologues qui récupèrent sur les îles des échantillons de roche. Puis, le bateau transporte les plongeurs pour une opération dans l’Anse du Lion, et enfin nous passons d’île en île pour que les Vincents prélèvent leurs échantillons.
La carte du parcours
Il fait un temps magnifique et les poussins de manchots Adélie sont aussi gros que leurs parents. La première étape est d’enfiler une combinaison intégrale. Elles sont lourdes, elles ne sont pas à ma taille (elles ne sont à la taille de personne), elles sont moches et elles n’ont pas de poches ! Une fois habillés, on se met à avoir de grosses difficultés à marcher. Il faut cependant monter sur Pamela, la petite embarcation de 6 places, en descendant l’échelle entre le quai et le bateau.
En allant à Prudhomme, pour récupérer les glaciologues, je prends le vent glacial de face. Il fait -5°C et l’eau de mer doit être à -1°C. La mer était entre calme et peu agitée. On m’avait conseillé de protéger mes mains car la combinaison est plus étanche que chaude. Avec la vitesse relative du bateau, mes pommettes ont très très froid. L’eau de mer qui nous atteint gèle sur la combinaison de Coline juste devant moi. Je suis soulagée en arrivant.
Après avoir déposé les Vincents sur l’île du Navigateur, on repart vers DDU. C’est Coline qui est maintenant à la barre. Elle s’entraîne à passer entre les bourguignons (les petits morceaux d’icebergs) et les rochers qui affleurent. Elle se repère sur une carte des fonds de DDU, pas forcément à jour. L’eau est très claire, mais les cartes ont pu être faites à une époque où Dumont d’Urville était englacée. Entre les îles, les fonds sont hauts et régulièrement, il faut contourner quelques rochers sous-marins ou lever les hélices du bateau pour qu’elles ne frottent pas.
Vue de Prudhomme depuis Pamela
Coline me redépose à l’abri côtier. Je remonte à la base haute pour aller chercher le repas en cuisine. Pendant ce temps, le reste de l’équipe et les plongeurs préparent les opérations de plongée. Il fait vraiment chaud sur terre. Qu’est-ce que c’est bleu et beau… même dans un endroit aussi industriel que l’Anse du Lion. J’essaie de prendre quelques photos. J’avais peur d’abîmer mon appareil photos sur Pamela. J’ai d’ailleurs peu d’espoir que les photos rendent le turquoise et la transparence de l’eau.
Je ne suis pas sur le bateau lors de l’opération de plongée. Je la regarde depuis la terre à quelques dizaines de mètres de moi. Un marégraphe est endommagé au niveau de l’Anse du Lion. Lors de sa rotation à R2, l’Astrolabe a détaché un morceau de glace qui a déplacé le bloc de béton qui maintenait en place le marégraphe et a sectionné son câble d’alimentation. On a dû partir en exploration pour retrouver l’appareil. Ils l’ont repéré à l’aide d’une petite bouée gonflable. Aujourd’hui, les plongeurs arrivent avec Pamela au niveau du marégraphe. Ils portent des combinaisons de plongée avec des doudounes à l’intérieur. Ils plongent et accrochent au bloc de béton une (grosse) bouée qu’ils gonflent. Le bloc de béton d’environ 1m3 remonte avec la bouée gonflée. Il est transporté accroché à Pamela. On le déplace vers le port côté piste du Lion. C’est une grue qui le récupère sur terre. C’est facile et simple finalement. Dans l’après-midi, Coline détermine encore où entreposer le bloc.
Lord Mc Plouf dans l’eau
Pamela redépose les plongeurs à l’abri côtier. Je suis sure qu’ils penseront à revenir me chercher, car c’est moi qui ai les sandwichs. Et je repars avec Corentin et Coline vers les îles. Le bateau fait beaucoup de bruit. On a du mal à se comprendre.
Célestin et Coline dans un bateau
On récupère les Vincents à l’île du Navigateur et on les dépose sur celle du Rocher Gris. Les îles sont entourées d’une banquette de glace à 2m au-dessus du niveau de l’eau. La banquise a disparu et les vagues attaquent la glace en contact avec l’eau. Au sommet de l’île, le vent abrase la glace et la roche noire fait fondre plus vite la glace à son contact. La glace entoure les îles comme des tonsures de moines.
Les Vincents et Coline ont réussi à passer la banquette
La banquette complique l’accostage. Il faudrait que les rochers affleurent au niveau de l’eau, mais qu’ils ne soient pas trop englacés pour pouvoir descendre facilement du bateau, et qu’ils ne soient pas trop lisses pour qu’on puisse accrocher Pamela. La plupart du temps, on se jette du bateau sur un rocher. C’est « casse-gueule » dit l’un des Vincents. On regrette de ne pas avoir pris de piolet. On fait confiance à la combinaison et à ses semelles qui par chance sont adhérentes. Célestin stationne le bateau un peu plus au large.
Les Vincents prélèvent des échantillons de roche
Dans un premier temps, je suis restée sur Pamela avec Célestin. Quand il peut, il s’amarre. Sinon il attend sur le bateau à quelques mètres de l’île. On ne part pas en balade pour ne pas avoir besoin de refaire un plein. C’est l’occasion de discuter. Célestin a un contrat avec l’IPEV pour l’ensemble de la campagne d’été. Il est arrivé avec le premier bateau et repartira avec le dernier. Quand il est arrivé, il y avait encore la banquise. Puis, tout a débâclé et il a vite pu travailler comme pilote. Il pilote normalement des bateaux beaucoup plus gros. A son retour en France, il travaillera sur le Belém : un ancien 3 mats qui sert de navire école pour conserver les savoirs-faire. Il va beaucoup voyager sur ce bateau : récupérer la flamme olympique et partir vers le sud de l’Espagne, l’Écosse, l’Angleterre… Mais que fait-il ici à piloter Pamela ? Il voulait voir l’Antarctique.
Coline et Célestin au pic-nique
On a pris le repas à Rocher Gris. On mange bien à DDU, même les sandwichs. « Ce n’est pas des sandwichs SNCF. » Il fait froid, mais le soleil est magnifique. Célestin n’a pas trouver comment bien amarrer le bateau et reste avec les cordages dans les mains. Coline, biologiste, discute avec les Vincents de l’évolution du site, de leurs pratiques scientifiques et d’escalade à Hobart.
Les manchots Adélie sur la Vierge
Je suis descendue avec les Vincents sur l’île de la Vierge, pendant que Célestin et Coline repartaient vérifier les moteurs et faire le plein. Les roches sont ici du granite et du gneiss très majoritairement. Sur la Vierge, la roche est rose, mais elle est blanche à certains endroits, couverte par les déjections d’oiseaux. Une colonie de manchots Adélie y a élu domicile. On les reconnaît à l’odeur, mais après quelques mois à DDU je suis habituée. Je peux me concentrer sur l’environnement et comme le bateau est parti, c’est très calme … sauf quand les Vincents jouent du marteau piqueur.
Je fais deux ou trois fois le tour de l’île. Il y a des plumes de manchots partout et un skua qui vole autour de la colonie. La relation entre les skuas et les manchots est un peu particulière : c’est comme si un lion vivait au milieu des gazelles. Coline me demande si j’ai vu des poussins de skuas. Je ne crois pas parce que j’ai fais le tour de l’île et à aucun moment un skua n’est devenu agressif. Un skua avec poussin te fait bien comprendre que tu n’es pas à ta place. C’est sur l’île de La Vierge que j’ai appris que les manchots sont bien plus habiles qu’on croit, en particulier pour marcher sur les banquettes glacées.
Pamela nous récupère et nous allons vers l’île aux Champignons. Nous faisons quelques fois le tour de l’île, et nous n’arrivons pas à accoster. La banquette fait tout le tour de l’île. Il y a des rochers qui affleurent partout, nous circulons doucement, les moteurs relevés. « De la glace et des algues, meilleur endroit pour se casser la gueule ». Cette fois c’est Célestin qui en profite pour faite un tour sur l’île à pied.
Ile de La Vierge
Avec Coline, on va faire du repérage pour savoir comment accoster les Damiers. Les Damiers sont trois îles. On fait des huit entre les îles. Leurs abords sont plus lisses les unes que les autres. Les rochers sous-marins sont tout autour de nous. Je me place à l’avant pour repérer les rochers sous-marins. Les vagues tapent sur le bateau. Nous n’arrivons pas à accéder à l’île centrale qui était celle prévue à l’origine. Les Vincents abordent une île périphérique.
Avec Célestin et Coline, nous allons repérer comment accoster sur La Selle. Contrairement à ce que dit la carte, il s’agit de quatre îles. Les Vincents ont du mal à nous entendre quand on les appelle à la radio. Leur radio était éteinte dans leur sac. La Selle est la dernière île. Après avoir encore fait une fois le tour de l’île, on repart vers Pétrels.
Cette sortie est l’un de mes meilleurs souvenirs de Dumont d’Urville.