Quelques jours de beau temps et tout reprend
Après deux grosses journées de veille, je suis contente que mes jours de repos commencent par une période de beau temps. Par beau temps, j’entends « pas de vent ». Début octobre est incroyable. Après le mois de septembre très venteux que nous avons eu, il y avait même du soleil. Plein d’activités se remettent alors très vite en place : les sondages de la banquise permettent d’étendre le périmètre de sécurité. Les biologistes partent à la recherche des phoques qui sont en train de mettre bas. Et l’équipe technique transfère du gasoil.
C’est quoi un transfert gasoil ?
En prévision de la campagne d’été, et du premier voyage (Raid) vers Concordia et des Raids scientifiques, l’équipe technique hivernante apporte le gasoil stocké sur la piste du Lion aux cuves de Cap Prud’homme sur le continent, soit à 6km de distance. Ils le font en roulant sur la banquise en tracteur.
Ils ont sondé la banquise, tracé et damé la route, sont allés chercher des cuves vides de 12m3, stockées à D3 sur le continent. La pente entre D3 et le niveau de la mer (D0) est raide, cela demande de sécuriser un tracteur Challenger par une dameuse. Le tracteur tracte la cuve et la dameuse retient le tout.

Les cuves de stockage de la piste du Lion sont vidées dans les cuves de transfert. Puis les Challenger font des allers-retours entre la piste du Lion et D0, où le gasoil est transféré vers d’autres cuves de stockage. Un Challenger tracte une unique cuve. Au total, il faut transférer près de 600m3 de gasoil.
Pour des questions de sécurité, personne n’est jamais seul sur la banquise. Pas même, ou surtout, un conducteur dans sa machine. Donc, entre les personnes qui pompent, celles qui transfèrent, qui doivent être à deux, celles qui sont de repos, celles qui surveillent encore la centrale… l’équipe technique (8 personnes) ne suffit pas. Ils ont besoin de monde.
J’avais l’intention d’y aller depuis des semaines mais après une longue phase de préparation, les techniciens sont allés très vite. C’étaient les derniers jours pour pouvoir participer à un transfert. J’ai candidaté.
En Antarctique, rien d’automatique
La veille au soir, je conviens avec Ugo, le responsable technique, que je rejoindrai l’équipe l’après-midi au niveau de la piste du Lion. Je serai avec Lise dans un Challenger. J’aiderai à mettre et enlever les remorques des cuves de gasoil.
Le matin, je suis de service base. Je fais le ménage des communs. J’ai préparé mes affaires pour l’après-midi : mon sac banquise, une tenue qui a un peu vécu, un goûter, des chaufferettes …
A midi, on est à peine une petite dizaine à table parce que tout le monde est en mission à l’extérieur (ils partent avec leur pique-nique). Et Lise m’annonce qu’elle ne part plus : le reste de l’équipe technique a bien avancé, ils ont refait le programme et partiront à deux Challengers l’après-midi. Lise apprend qu’elle n’est plus du voyage. En Antarctique, rien d’automatique.

Je demande par radio à midi s’ils ont toujours besoin de moi. Mathis, le mécanicien me répond qu’ils m’attendent. Branlebas de combat : j’enfile ma VTN de travaille, je vais chercher ma radio, j’oublie au passage de prendre de l’eau et je laisse mon portable dans l’autre VTN, je cours jusqu’à la piste du Lion.
Je croise Ugo qui me dit que les gars jouent aux bonhommes, que si je suis fatiguée ou que j’ai froid, je peux rentrer. Je lui réponds que s’ils jouent aux bonhommes, je n’hésiterai pas jouer à la fifille.
Challenger
Laurent (second de centrale) m’attend tranquillement en mangeant son sandwich. La cuve est déjà attelée. Il m’explique comment l’attelage et le dételage de la cuve se font.

Un Challenger, c’est un tracteur de 15 tonnes avec des chenilles et 256 chevaux sous le capot. La dameuse fait toute petite face à un Challenger. On monte dans une cabine minuscule. J’avais vu les machines travailler au loin, mais je n’étais jamais montée dedans. Nos sacs « banquise » prennent beaucoup de place.
Manchots
On quitte la piste du Lion pour accéder à la banquise et là, nous tombons sur une colonne de manchot. Ça prend toujours quelques minutes, les manchots ont la priorité.

Les manchots Empereur passent préférentiellement par l’Anse du Lion pour aller du Nutatak, où se trouve leur colonie, à la mer, où se trouve leur nourriture. Ils se suivent en file indienne d’une dizaine d’individus en se dandinant. Quand on est à pied et qu’on attend un creux entre deux colonnes pour traverser, il arrive qu’un des manchots nous voit et se dirige vers nous parce qu’ils sont curieux. Ça peut alors devenir très compliqué parce qu’on n’a pas le droit de les approcher et que les individus peuvent restent bloqués devant nous sans bouger. Et on ne passe plus. Bref, il faut tout faire pour qu’ils restent focalisés sur leur objectif : du poisson. Moi, ma stratégie c’est de me cacher. On a moins ce problème avec les machines. Avec le bruit, ils s’activent même un peu plus. Vous avez dit « stress » ?

Avec Laurent, on s’est quand même dit que si on devait attendre 5 min à chaque passage, ça allait être long. Mais on a eu plus de chance sur les autres passages.
Sur la banquise
On roule à 30km/h sur la banquise sur les 5km qui nous séparent de Prud’homme. La glace de mer fait au moins 1,2m d’épaisseur mais, il reste que en dessous c’est l’océan. Les conducteurs n’y pensent pas. Pour eux, c’est une surface proche de la terre et donc plus agréable que la neige.

On écoute SkuaRock, la WebRadio de DDU. C’est une playlist type ChérieFM, sans les commentaires ni les pubs. C’est étrange à entendre, ici en Antarctique, alors que je n’ai pas écouté la radio depuis un an. On regarde le paysage en parlant de la fin de la campagne et des futurs vacances.
Il fait un temps magnifique. Il fait toujours -10°C. On ne se fait pas d’illusion, mais le soleil réchauffe directement nos peaux (crème solaire) et nos vêtements. J’ai presque trop chaud.
A Cap Prud’homme.
Le 2 octobre, les dernières cuves arrivent à D0. On ne fait plus de transfert, mais on laisse les cuves sur place. Il faut se coordonner pour savoir où les mettre. Mathis et Geoffrey nous attendent à Prud’homme. Les manœuvres ne sont pas simples avec le peu d’espace et la neige qui s’ameublit. Mais les conducteurs sont habiles. Ils partent en marche arrière pour placer les cuves. Je n’aide pas à la manœuvre, mais j’accroche ou décroche les remorques. Je mets l’attache et je desserre la sangle à cliquet… bien grippée.

Et j’ai pris le volant
Mathis a formé les autres techniciens à la conduite d’engins. Ses explications étaient bien rodées et dans une ligne droite, en roulant, à 20km/h, j’ai ouvert la portière, je suis sortie, il est sorti, je me suis mise à la place conducteur et j’ai pris le volant.
On a fait deux ou trois allers-retours avec Laurent, puis Mathis me dit : « Tu veux monter avec moi, je te fais conduire ». Je suis montée avec Mathis.
Retour
Laurent et Mathis ont fini le dernier transfert tout seuls. Je suis rentrée avec Geoffrey en Challenger. On est passé faire le plein au hangar Engins et on est remonté à la base haute. A 18h, il fait frisquet. Le soleil commençait à disparaître. Par ciel clair, les températures passent de -10°C à -20°C très vite. C’était une excellente journée.