Le travail, c’est la moitié du temps, voire beaucoup moins. Alors qu’est ce qu’on fait le reste du temps ? On randonne (on a beaucoup de chance cette année il fait très beau). On fait du sport (parce qu’on a peu d’activité physique par ailleurs). On apprend des trucs (un autre métier, une langue étrangère, etc.). On regarde des films (pas tant que ça finalement). Et puis on joue. On joue beaucoup à DDU.
Jeux de société
Bien sur, il y a les traditionnels jeux de société. Depuis les échecs jusqu’au scrabble, on se remet aux jeux de société qu’on avait pas touchés depuis l’enfance.
Armoire à jeux de société
Ensuite, il y a les autres jeux de société. Les plus modernes. Des jeux coopératifs ou des jeux de stratégie, de deux joueurs à 10 joueurs. On s’initie aux jeux de rôle. Ceux parmi nous qui étaient des gros joueurs avant de venir sont d’énormes joueurs à DDU : Killian et Natacha jouent 1h30 par jour en moyenne.
Tester des nouveaux jeux entre midi et deux
Sport ludique
En intérieur, le séjour fait la part belle au baby foot, billard et au ping-pong. C’est parfois un problème : certains font leur sieste postprandial dans le séjour, c’est incompatible avec le ping-pong par exemple.
Billard et baby-foot
En extérieur, on fait de la luge ou de la pétanque. Je n’ai moi-même testé ni l’un ni l’autre.
Soirées
Tous les samedis soir, c’est soirée. Je n’y assiste qu’un week-end sur deux, parce que je suis de veille météo un dimanche sur deux. Et de toute façon, jamais je n’arriverai à tenir jusqu’à 6h du matin comme certains.
Course de chars
Dans les soirées, on organise des lotos, des blind-tests … On se déguise, on fait des karaokés, des jeux stupides de groupe et bien sûr des jeux à boire.
Faire du vélo sur la banquise, j’en ai envie depuis que je sais qu’il y a des vélos à Dumont d’Urville. Ils sont sur la piste du Lion (voir article géographie) et mis à disposition des campagnards d’été qui y travaillent.
Hangar Avion
En janvier, je suis allée visiter le hangar Avion. Il s’agit du bâtiment qui se trouve sur la piste du Lion. La piste du Lion devait être une piste d’atterrissage. Le hangar de la piste devait accueillir les avions et la tour de contrôle. Cela ne s’est jamais fait. Actuellement, le hangar sert d’atelier l’été et à protéger les engins l’hiver. La tour ne sert à rien.
Vue depuis la tour du hangar Avion en janvier
Bref, je l’ai tout de même visitée durant la campagne d’été. Je n’ai pas eu la vue que je souhaiterais (j’imaginais voir à 360° depuis la tour), mais j’ai vu qu’il y avait quatre vélos dans un coin du hangar. L’idée a fait son chemin.
Et la banquise est arrivée
En mars, la mer a recommencé à geler. Mais rien de très solide. Par contre, en avril, tout est allé très vite. La banquise n’a cessé de s’épaissir et le périmètre de sécurité n’a cessé de s’élargir. Depuis, aucune tempête, aucune houle n’est venu la casser. Elle fait 50 cm d’épaisseur. Elle s’étend sur 200 km, (mais les polynies autour de DDU ne nous permettraient pas d’aller aussi loin à pied). Et surtout, elle est plate comme jamais.
Piste du Lion en févrierPiste du Lion en avril
J’ai ressenti un sentiment d’urgence. La banquise va finir par casser. Après cela, même si elle redeviendra compact, des fractures se seront formées ou les morceaux de glace seront montés les uns sur les autres, et on ne pourra alors plus rouler dessus aussi facilement.
Une première visite
Un mardi d’avril, j’ai profité du fait que Natacha (l’ornithologue) ait du matériel à démonter sur la piste du Lion pour retourner au hangar Avion – car nous ne pouvons jamais traverser la banquise seuls.
L’intérieur avait bien changé : les machines étaient collées les unes contre les autres. Les bateaux étaient attachés au plafond. J’ai dû escalader les engins à la recherche des vélos. Et je les ai trouvés.
Comme j’étais seule, je n’en ai sorti qu’un, toujours en escaladant les engins. Il était en parfait état de marche – à peine sous-gonflé. Bref, j’ai fait un petit tour de vélo sur la piste du Lion avec Natacha et Killian, puis nous sommes rentrés.
On était très motivés
J’en ai discuté autour de moi. Lise (menuisière) était très motivée pour en chercher d’autres. Mais déjà le samedi suivant, les conditions de banquise avaient changé. Une rivière s’était formée autour de l’île des Pétrels. Nous y rejetons de la saumure donc l’eau gèle à plus basse température. Le passage était rendu difficile (voire impossible selon certains) entre l’île des Pétrels (où nous logeons) et la piste du Lion. Mais, avec Lise et Florent (lidariste) on a tout de même tenté le coup.
La traversée de la piste du Lion n’a pas été simple. A l’aller, la rivière avait partiellement gelé (il faisait -23°C ce matin-là). La première traversée a été difficile parce que la glace qui s’était formée le long des îlots était particulièrement lisse et glissante. Malgré mes microspikes, j’ai dû monter à quatre pattes sur la piste du Lion. Lise et Florent, qui n’étaient pas équipés, ont dû se tracter à la force de leur bras en s’accrochant au bord d’une faille pour accéder à la piste. Et nous y sommes arrivés.
La partie bleue est plus liquide que le reste de la banquise
Dans le hangar avion, les vélos restant étaient rangés sur une plateforme en hauteur. Lise, qui a l’œil, a trouvé une échelle et à trois, nous avons descendu un par un cinq vélos que nous avons sortis un par un du hangar. Il y en avait trois très potables et trois sans espoir. Après un petit tour sur la piste du Lion, nous avons décidé de ramener les vélos sur Pétrels avec l’objectif de les remettre à neuf.
Un vélo est caché dans cette image
Nous avons fait glisser les vélos depuis la piste sur la banquise, un par un. Puis chacun avec notre vélo (d’abord les cassés) nous sommes retournés depuis la banquise vers Pétrels. Cependant, entre-temps, la température était remonté (-21°C pas plus) et la rivière s’était reformée. On marchait dans une sorte de boue de petit morceaux de glace et d’eau. Lise, puis Florent, ont mis le pied dans cette saumure à température fortement négative – de quoi perdre ses orteils. Preuve étant faite que nos équipements sont étanches, nous avons mis les vélos abîmés à l’abri et nous sommes repartis chercher les vélos restés sur la banquise.
La grande évasion
Quitte à être sur la banquise avec des vélos en état de marche, autant faite un petit tour, histoire de tester de matériel, de s’assurer de l’adhérence de la banquise, de voir si on est assez adroit, etc.
La banquise n’est pas une patinoire. Une fine couche de cristaux se forme en surface. Ça craque un peu quand on marche dessus. C’est suffisamment rugueux pour y rouler en vélo. Alors on a passé un appel radio pour dire qu’on quittait l’Anse du Lion et on est partis.
Lise passe l’appel radio
Le vélo, c’est fantastique même sur la banquise. On n’a pas le bruit ou l’odeur des engins à moteur. On a tout de suite une sensation de vitesse. Le vent est froid sur le visage. Mais comme on fait un effort, ça passe. Heureusement que nos mains étaient bien protégées. Le froid ne fait pas de cadeau.
Nous avons fait le tour de Pétrels. Nous sommes rentrés dans le Pré, la texture de la banquise avait bien changé. Elle était plus pâteuse, nous avancions plus lentement. Puis, nous sommes remontés à la base, à pied, parce que la piste verglacée est impraticable à vélo.
Un brillant avenir
Depuis, les vélos ont un succès fou. Tout un chacun les empreinte. De la même manière que pour une sortie à pied, il faut un sac « banquise » (il faudra que j’en parle de cela-là aussi) et il faut partir à plusieurs avec autorisation. Le chef de district nous demande aussi de mettre un casque.
Normalement, la glace rejette le sel en se formant. Mais la banquise est salée – si, si ! J’ai moi-même goutté un morceau pour vérifier — les vélos sont donc très fragiles dans cet environnement. On les lave quand on rentre avec un des rares tuyaux extérieurs qui déverse de l’eau douce : celui qui sert à laver les engins.
Je compte bien réparer les vélos qui sont restés à l’abri côtier. On pourra alors partir bien plus souvent.
A DDU, il y a des manchots, mais il y a aussi des phoques.
Décompte
Le 5 janvier, je suis sortie avec Simon Targowla, biologiste du programme Antarctic seals and the sea-ice environment pour comptabiliser les phoques présents sur la banquise.
Pour l’instant, je ne vous ai parlé que des manchots, mais il y a aussi beaucoup de phoques à Dumont d’Urville (DDU). Il y a cinq espèces de phoques sur place :
Les plus communs, ce sont les phoques de Weddell. Ils sont visibles sur la banquise proche des côtes en été. Même si on ne les voit plus en hiver, leur activité vocale sous-marine révèle leur présence durant toute l’année dans l’eau.
Ensuite, il y a les phoques Crabier. S’il s’agit du phoque le plus commun à l’échelle de la planète, il est encore assez rare à DDU. Il est présent dans le pack et au large. Il y en a de plus en plus sur DDU. Cette année, quelques dizaines ont été répertoriés alors qu’ils était plutôt rares avant.
Le léopard de mer. C’est le phoque qui mange les phoques… et les manchots. Il faut s’en méfier, il est rapide et il mord aussi les humains.
L’éléphant de mer, le plus gros de tous les phoques, qui est encore considéré comme un animal sub-antarctique alors qu’on en en voit tous les ans ici en Antarctique.
Le phoque de Ross a été répertorié mais il n’a pas encore été vu cette année.
Avec Simon, nous nous sommes baladés sur la banquise en passant de trou d’eau en trou d’eau. Les phoques s’y rassemblent et ils dorment autour par dizaines. Ils arrivent sur la banquise par ces trous et ne s’en éloignent pas
Ainsi, ils peuvent facilement s’enfuir en se jetant dans le trou en cas de danger.
Exemple d’un trou d’eau ou les phoques se rassemblent sur la banquise avec quelques phoques
Les phoques font entre 2,5 m et 3,2 m. Les mâles sont plus petits que les femelles et ne dépassent pas les 2,9 m. Un jeune pèse déjà dans les 200kg, mais un adulte fait facilement dans les 350 kg. Nous comptons le nombre de phoques.
Un pup avec sa mère
Nous notons le sexe et s’ils sont adultes, jeune adultes, ou des « pups » (bébé, en anglais) : des jeunes de l’année que Simon appelle des knackies, parce qu’ils en ont la forme.
Petit adulte ou gros jeune de 2-3 ans ?
Pour différencier un petit adulte d’un un gros jeune, Simon regarde le nombre de cicatrices. Ce n’est pas une certitude, mais plus les phoques sont âgés, plus ils sont marqués.
N’est-il pas mignon ?
Transpondeurs
Natacha, ornithologue du programme 109 me propose de sortir le 9 mars. Il s’agit de placer une petite puce sous la peau de quelques phoques. On dit qu’on les « transponde ».
Je pars avec Natacha, Lise, Simon et Killian. C’est beaucoup de monde pour une manip’ sur des animaux. Dans toutes celles que j’ai faites jusqu’à présent, nous étions 3 au maximum.
Nous sommes partis avec la pulka chargée de matériel, les microspikes aux pieds. Le ciel était magnifique, les icebergs superbement bleus. Nous avons marché jusqu’à atteindre un premier trou de phoques. Pas très loin : nous étions tout près de Pétrels.
Ils dorment au soleil
Comme toujours dans une manipulation, il y a quelqu’un qui fait la manip’ et quelqu’un qui prend les notes. Natacha et le rédacteur faisaient seuls le tour des phoques d’un point d’eau. On note l’âge et le sexe. Natacha prend une photo du ventre (parce que les tâches sur leur ventre forment un motif unique) et donne le numéro de la photo. Elle a à la main un détecteur qu’elle passe sur le bas du dos du phoque et qui bipe quand le phoque est transpondé. On note le numéro de transpondage. Natacha repère ainsi les femelles qui ne sont pas transpondées. Seules les femelles sont marquées parce que les programmes de recherche n’ont droit qu’à un certain nombre de marquages par an et que les femelles sont plus susceptibles de revenir à DDU.
Quand on trouve une femelle, on la capture. D’abord, Simon et Natacha (qui ont l’habitude) placent une capuche sur la tête du phoque. Ce n’est pas facile. Les phoques se débâtent et mordent. Cela peut durer quelques minutes. Puis trois personnes immobilisent le phoque sans le blesser. Une dernière personne fournit les ustensiles à Natacha, qui pique le phoque à la queue avec une grosse seringue. Cette partie est très rapide, mais il fait bien tenir le phoque. Il se débat.
Hydrophones
Simon travaille pour un programme qui cherche à suivre l’activité vocale des phoques sur une année de façon à caractériser les particularités (les dialectes) des phoques de Weddell autour de DDU. Pour cela, il enregistre les phoques en continu durant une semaine par mois.
Simon et son hydrophone
Simon enregistre les phoques sous l’eau à l’aide d’un hydrophone. Les sons que font les phoques sous l’eau, vous n’avez jamais entendu cela. Simon a eu la gentillesse de me fournir quelques uns de ses enregistrements.
C’est difficile d’imaginer qu’un animal fait ce genre en bruit et qu’il pourrait le faire volontairement. Un excellent moyen de vérifier que ce sont bien les éléments d’un mode de communication est de demander à l’animal. On peut diffuser ces sons à proximité d’un phoque : s’il réagit, s’il répond, alors on considère que ce son a bien une « signification », une fonction dans les échanges. La nature de la réponse (agressivité, approche, fuite…) nous renseigne sur son sens pour les phoques.
Actuellement, les phoques ne sont plus à DDU. Ils sont au large et fréquentent la lisière de la glace de mer. Plus la banquise est loin, plus ils sont loin. Mais on peut les suivre à la trace. Je vous en parlerai dans un prochain article.
Comme les manchots, nous buvons de l’eau de mer, mais elle est dessalée.
Une visite à la Centrale
La Centrale, c’est l’usine qui fournit notre eau et notre électricité.
Romain, le chef Centrale, me fait la visite. Il est originaire d’Albi. Il a un accent du Sud-Ouest et travaillait déjà dans des centrales électriques (mais avec de plus gros moteurs) avant de venir à DDU.
La Centrale est un bâtiment de la station. La première chose qui frappe quand on y entre, c’est le bruit : on ne s’entend pas parler dans la salle des machines, alors toutes les explications, je les ai eu dans le bureau. La deuxième chose qui frappe c’est l’odeur d’huile.
Production d’électricité
La Centrale, c’est d’abord la production d’électricité. A DDU, les bilans énergétiques sont simples à faire, tout vient du pétrole. Le SAB (Special Antarctique Blend – un gasoil spécialement produit pour les très basses températures) arrive par bateau. Il est ensuite stocké sur l’île des Pétrels à l’extérieur de la base haute (600 m3 stockés pour l’hivernage) pour limiter la propagation d’un éventuel incendie. Il est transféré au besoin dans de plus petites cuves proches de la Centrale (56 m3 de stockage).
A gauche : 2 des 3 groupes électrogènes qui produisent l’électricité A droite : les armoires de contrôle
Les moteurs sont des machines thermiques qui brûlent le fioul pour actionner des alternateurs qui produisent de l’électricité.
Un des groupes électrogènes
Production d’eau
La Centrale produit aussi notre eau potable. L’eau est pompée dans l’Anse du Lion au niveau de la SPEM (Station de Pompage Eau de Mer). Elle est désalinisée par deux systèmes:
un osmoseur qui désalinise l’eau de mer via le procédé d’osmose inverse (utilisé uniquement en campagne d’été quand il y a bien plus de monde sur la base).
ou via le bouilleur, une antiquité datant des années 60, avec des réglages manuels. Comme son nom l’indique, il bout l’eau de mer. On y fait le vide pour que l’eau s’évapore à basse température. L’eau évaporée est ensuite condensée pour obtenir de l’eau pure qui est enfin reminéralisée (à la minéralite) pour pouvoir être bue.
L’eau de mer qui est pompée à la SPEM est à -1°C. Elle arrive à la Centrale à 8°C. Elle sert à refroidir le liquide de refroidissement des groupes électrogènes. Ensuite, elle passe par le bouilleur et le minéraliseur. En sortie, on a de l’eau potable et de la saumure. La saumure est re-utilisée pour éviter le gel des canalisations d’eau douce, avant d’être jetée en mer. Elle est aussi utilisée pour réchauffer l’eau glacée arrivant de la SPEM.
Les températures du liquide de refroidissement des groupes électrogènes et celle de l’eau entrant dans le bouilleur sont importantes pour le système et liées par un échangeur thermique. Et le seul moyen de monitorer ces températures, c’est d’augmenter ou de diminuer le débit d’eau de mer entrant dans l’échangeur.
Quand il y a beaucoup de demande d’électricité, les moteurs doivent produire plus d’énergie : ils chauffent. Pour maintenir la bonne température du liquide de refroidissement, on augmente le débit d’eau de mer. De ce fait, on produit plus d’eau douce.
Une surveillance constante
La Centrale, c’est la vie. Sans elle, plus d’eau, plus d’électricité donc plus de chauffage. Elle est surveillée comme le lait sur le feu. Il existe des indicateurs et des alarmes pour tout.
C’est l’œil de Moscou :
« On voit les fours de la cuisine s’allumer… Juliette qui fait le pain »
Romain
Les membres de l’équipe technique (menuisière, plombier, mécanicien, électricien, tourneur, chef technique et les deux personnes qui sont dédiés à la Centrale) font chacun à leur tour des quarts de jour et de nuit.
Du matériel plus ou moins moderne
Durant leur quart, les techniciens et techniciennes surveillent les alarmes.
Il y en a 3 types :
les alarmes dites techniques qui concernent le fonctionnement global de la station comme des températures à l’intérieur des bâtiments, où d’éventuelles coupures d’électricité
les alarmes des groupes électrogènes qui concernent ces derniers : températures d’eau de refroidissement, pression d’huile, niveau de la cuve de gasoil
les alarmes incendies : tous les bâtiments sont équipés de nombreux détecteurs afin de prévenir le moindre début d’incendie…
La personne de quart doit relever toutes les 2 heures, les constantes de la Centrale (paramètres des groupes électrogènes, du bouilleur, de l’osmoseur, et de la SPEM). Ils peuvent régler une partie des soucis éventuels par eux-mêmes, mais peuvent aussi compter sur les techniciens d’astreintes quand une d’elles sonne : l’électricien si c’est un problème électrique, le plombier si c’est un problème d’eau, ou un des personnels de la Centrale.
Les températures en entrée du bouilleur qui sont surveillées par les veilleurs
Sur la base, on partage les mêmes expériences. On pense au climat, bien sûr. Mais parlons ici d’autres choses.
Hall d’entrée du 42 (dortoir) : dur de retrouver ses affaires
D’abord, on se ressemble tous parce qu’on partage le même matériel. La dotation, c’est l’équipement qui est fourni par l’IPEV pour l’année. Notre dotation nous appartient. Elle est spécifique à chaque métier, et les vêtements sont à notre taille (plus ou moins) mais dans l’ensemble on partage les mêmes objets. A tel point qu’on a du mal à retrouver nos habits. Cela nous offre la possibilité de nous plaindre ensemble des défauts de notre équipement : ils sont ternes et mal taillés pour les femmes, les gants protègent mal du froid, pas à la bonne taille, etc.
On partage aussi certains travaux, qui sont faits par tout le monde. C’est le cas du service base. Le service base, c’est une journée donnée à la communauté. Il se pratique à deux. On ne choisit ni son partenaire, ni son jour et c’est obligatoire. On fait le ménage d’une partie des zones communes, les douches et les toilettes. On vide les poubelles. On met la table, on fait le service et la vaisselle. C’est beaucoup plus simple de faire le service base l’hiver quand il y a 24 personnes que l’été quand il y a 80 personnes. C’est vaguement humiliant. C’est donc très important que tout le monde y passe.
Faire les mêmes expériences, ça facilite la compréhension.
Pourtant tous spécifiques
A Dumont D’Urville (DDU), il y a un plombier, un électricien, une menuisière, etc… Nous ne sommes pas libres de choisir les personnes qu’on côtoie ou avec lesquelles on travaille. On ne peut pas faire jouer la concurrence. D’aucun n’y croirait pas. Et pourtant, ça marche. Je pense que quand on a besoin de quelqu’un, on est plus poli avec lui. Et nous sommes tous interdépendants. Alors on est bien tous polis entre nous.
De toute façon, les gens sont compétents dans leur domaine puisqu’ils sont sélectionnés pour l’être. Et ils sont serviables, peut-être qu’on est aussi sélectionné pour l’être. Je ne sais pas si c’est pareil tous les ans, mais cette année, le groupe est très sympathique.
Entre-aide
Et pourtant la compétence ne suffit pas. Souvent, il faut être plusieurs pour mener à bien une mission ou tout simplement parce que c’est moins pénible.
Manip’Vivre
A DDU, les bâtiments sont tous éloignés les uns des autres. C’est en particulier le cas des hangars de stockage de la nourriture et des cuisines. Du coup, une fois par semaine, on fait le chaîne pour transporter les denrées alimentaires de deux hangars différents (le -20°C et le +4°C) vers la cuisine. C’est la manip’vivre. Tous ceux qui veulent peuvent participer à la chaîne, sans quoi le cuisinier et la boulangère devraient porter les vivres eux-mêmes : impossible.
D’ailleurs, la cuisine n’est jamais contre un petit coup de main. Entre peler des oignons, ou faire un goûter, voire cuisiner tout un repas. La cuisine est ouverte. C’est bien pour moi qui aime cuisiner et pour eux qui travaillent un peu moins.
Goûter crêpes avec Mélanie
C’est la même chose avec les ornithologues. Elles ont besoin de personnes pour les aider et cela nous permet de voir des animaux sauvages de près. C’est l’occasion de partir se promener. Mais parfois, la question change de sens. Les personnes qui viennent en Antarctique n’arrivent pas par hasard. Elles aiment leur métier. C’est leur passion. Mais la masse de travail est trop importante. C’est atteindre ici la limite de l’entre-aide. On ne veut pas que nos collègues et amis se trouvent en difficulté dans leur travail. L’échec d’une personne affecte tout le groupe. Alors, tout le monde y met du sien. Mais est-ce que ce ne serait pas du travail que nous réalisons bénévolement au bénéfice des laboratoires ?
Assistance et formation
Sophie, la médecin, ne pourra pas sauver quelqu’un qui a un accident à DDU toute seule. A raison d’une heure par semaine, elle nous forme et se constitue une petite équipe médicale et une petite équipe de secouristes dont je fais partie.
Exercice de secourisme au Mont Rose.
Et ce n’est pas la seule à former des gens. Il y a bien sûr de l’intérêt pour le travail des professionnels qui nous entourent. Alors, certains se forment à la mécanique, par exemple. Tout le monde invite tout le monde à venir voir son travail. D’ailleurs, nous, les météos, invitons les autres à lancer nos ballons-sondes (pour le fun) et j’ai commencé les formations météos (pour ceux que ça intéresse).
Vie communautaire
Les loisirs sont aussi bien souvent collectifs. Avec l’hivernage, le séjour s’est transformé et les jeux (billard, ping-pong, baby-foot) ont envahi l’espace. Nous regardons des séries ensemble. Nous jouons à des jeux de société.
Nouveau séjour tout beau tout propre
Enfin, que serait une vie communautaire française sans un bar : l’ « Enfer blanc » est à présent ouvert tous les jours. Il faut payer l’alcool qui est soumis à des quotas (qui apparemment sont trop stricts). Les discussions sont interminables sur la meilleure gestion de l’alcool. Mais moi, je ne me sens pas concernée : je dois être la seule à ne pas boire.
Quand on parle de l’Antarctique, c’est le manchot qui vient à l’esprit.
C’est quoi un manchot ?
Non, ce n’est pas un pingouin …
Nous avons deux espèces de manchots à DDU : les manchots Adélie et les manchots empereurs. Les Adélie marchent les ailes écartées. Ils sont petits, vifs, voire agressifs. Les empereurs se dandinent. Leur corps ondule. Même les juvéniles sont grands. Je suis arrivée le 12 décembre 2023. Les poussins d’empereurs étaient déjà grands. Ils étaient sur le point de partir. Je les ai vus en pouponnière (ils perdaient leur duvet) et au moment de leur départ. Et début décembre, les Adélie n’étaient pas encore éclos. Je les ai vu grandir à une vitesse phénoménale, se faire manger par des skuas pour certains, muer puis partir en février pour les plus chanceux.
Vie en communauté avec une espèce sauvage
L’espace vital
L’archipel compte une aire spécialement protégée de l’Antarctique. Elle classe en Réserve Intégrale les îles Rostand, Lamarck, Bernard, et Le Mauguen, ainsi que le Nunatak du Bon Docteur et la colonie de reproduction des manchots empereurs (pour plus de repères géographiques reportez-vous ici). Toutes les espèces animales de l’archipel sont protégées par le Traité sur l’Antarctique. Par conséquent, il est interdit de les toucher, de ramasser leurs œufs, de déplacer des poussins ou de nourrir les manchots. On respecte une distance de sécurité. On s’arrête et on arrête les engins quand ils sont dans les parages.
Les manchots vivent comme nous sur la base.
Mais des manchots, il y en a partout. Ce sont des centaines d’individus qui nichent jusqu’à l’intérieur de la base. C’est compliqué de les éviter. Certaines personnes sont plus respectueuses que d’autres de la vie sauvage :
Il y a les « Simon » qui respectent vraiment les distances de sécurité, ne font pas de bruit, évitent tout stress aux manchots.
Il y a les gens comme moi qui respecte les distances de sécurité. Cela ne me gène pas de leur laisser la priorité, voire de rester à bonne distance quoi qu’il arrive. Mais quand une sonde est défectueuse, que j’ai quelques minutes pour la changer, je cours sur les passerelles. Je vois bien que le bruit stresse les manchots qui couvent à quelques mètres, mais mon travail a la priorité.
Et puis, il y a les vrais travailleurs. Ces campagnards d’été qui ne font pas dans la sensiblerie et se contente de ne pas les écraser…
Le bruit
La première nuit que j’ai passée à Dumont D’Urville, j’ai été réveillée par un bruit que je n’avais encore jamais entendu. C’était tellement fort que j’ai cru que c’était un réveil dans une chambre voisine.
C’est original comme sonnerie de réveil !
Il s’agit du chant que les couples de manchots Adélie entonnent quand ils se retrouvent. Une fois l’œuf pondu, le couple se relaie : l’un couve l’œuf quand l’autre va en mer pour manger. Puis, le pêcheur revient. Le couple se retrouve dans la colonie. Allez savoir comment ! et ils sont contents et ils chantent. Ça fait énormément de bruit, jusque dans les bâtiments.
Les poussins sont les petites boules de poils grises sous les manchots Adélie adulte.
Les manchots Adélie grognent quand tu passes près d’eux. Ils peuvent te poursuivre. S’arrêter à quelques centimètres de toi en se rendant compte qu’ils ne font que quelques dizaines de centimètres quand tu fais 1m75. Ils harcèlent jusqu’aux poussins d’empereurs.
Poussins de manchots Adélie
Et les poussins de manchots chantent aussi. Ça ressemble plus à un cri de poussins. C’est plus agréable à notre oreille. Mais ils grandissent à vue d’œil. Ils sont nourris par les adultes qui leur vomissent une purée de poisson dans la bouche.
Les poussins harcèlent les adultes pour de la nourriture.
A un moment, les poussins deviennent aussi grands que les adultes et les harcèlent pour avoir de la nourriture. Ça aussi ça fait du bruit. Les adultes partent en mer (ils ont faim les pauvres). Puis, les poussins partent en mer et c’est le silence.
L’odeur
Comment vous décrire l’odeur que dégage une colonie de manchots Adélie ? Imaginez l’odeur d’un poulailler où les poules mangeraient du poisson. Ça sent très mauvais. On est content quand il y a du vent.
Le travail fou des ornithologues
Si on veut voir ou même toucher les oiseaux, il faut assister les ornithologues. Ce n’est pas une partie de plaisir pour autant. Antavia, c’est une colonie de manchots Adélie où tout est mesuré depuis leur masse à la sortie et à l’entrée dans la colonie, jusqu’à la croissance du bec des poussins. Antavia, c’est au vent et à l’ombre : il y fait froid. J’ai assisté Mélanie trois fois jusqu’à présent. Je prends les notes quand elle prend les mesures : prise de sang et selles, taille du bec des ailes, poids, comportement parents/poussins… tout y passe.
La première fois en janvier, c’était pour mettre des petits drapeaux sur de tous petits poussins. On a travaillé 2h pour traiter 8 poussins. Mélanie en avait 100 à marquer. Quand les poussins d’Adélie sont deux par nid (ce qui est la norme) on les prend en même temps pour éviter de trop déranger les oiseaux. On parle très doucement et on fait des gestes lents. Seuls des ornithologues vont au contact des nids. Ils se prennent des coups de becs. Pendant que Mélanie mesurait un poussin, j’avais un autre poussin sur les genoux. Ils défèquent partout. J’ai eu froid. Les deux autres fois, c’était pour installer des puces aux poussins Adélie en train de muer (histoire de les suivre une fois qu’ils auront quitté la colonie). Là, il faisait encore un peu plus froid et j’ai attrapé l’onglée.
Ce lundi 26 février 2024, c’est le départ de R4. L’Astrolabe a fait un dernier arrêt éclair (4 jours) à DDU, histoire de récupérer les dernières personnes qui étaient ici.
On a dit au revoir le matin aux scientifiques et aux campagnards qui partaient. Ils nous ont quitté par une petite embarcation à 9h pour rejoindre l’Astrolabe.
Après une semaine de vent fort, c’est par une journée magnifique que l’Astrolabe a appareillé. De toute façon, l’Astrolabe ne peut pas manœuvrer dans l’Anse du Lion par plus de 25kt (45km/h).
Toutes les rotations ont été compliquées. Cette fois-ci, après que la météo se soit améliorée, c’est un problème technique sur le petit bateau qui aurait pu retarder le départ. A ce stade, il y avait toujours l’hélicoptère pour faire des rotations. Mais finalement tout le monde a pu prendre le bateau en temps et en heure. En Antarctique, rien d’automatique.
Puis l’Astrolabe est parti faire un tour, laissant quelques campagnards d’été sur le Lion. Ils ont passé encore quelques heures à démonter le quai d’accostage de l’Astrolabe, puis à ranger les machines sur la piste du Lion.
Du côté des hivernants, on était content de les voir partir. On leur a fait au revoir le matin au départ des scientifiques et le soir quand l’Astrolabe est revenu chercher les campagnards.
On attendait la fin de la campagne d’été et le début de l’hivernage. On a fêté cela par d’autres fumigènes et du champagne. Et après quelques dernières blagues échangées à la radio avec l’Astrolabe, on est rentré à la base haute.
La configuration de la salle commune a changé dès aujourd’hui. Le réfectoire n’a plus besoin d’être aussi grand : Nous ne sommes plus que 24. Donc des jeux et une salle cinéma ont envahi le séjour.
Ouf… un peu de nuit.
DDU est toujours aussi beau. Juste plus calme.
Retour sur la campagne d’été
Vous êtes nombreux à me demander comment ça se passe la vie sur place. Comment se passe la cohabitation avec les autres et de quoi se constituent les repas…
Et bien la campagne d’été a été très dense et fatigante. Mais j’ai plein de choses à raconter. Je le ferai sur le blog bientôt, en plus de raconter l’hivernage.
C’est un peu étrange, j’imagine, de parler de la lumière pour le premier article de blog sur la vie sur la base. Mais c’est sans doute quelque chose dont vous ne vous doutiez pas : l’Antarctique, en été, c’est très lumineux.
Jour perpétuel
On parle beaucoup de la nuit perpétuelle. Elle affecterait notre humeur. Sans doute pour nous rendre apathique. Ça, je ne l’ai pas encore vécu. Mais qu’en est-il de la journée perpétuelle ? Quand je suis arrivée à DDU, la nuit se réduisait à quelques minutes.
Manque de sommeil
C’est compliqué de dormir parce qu’avec la luminosité, on ne sent pas la fatigue. Et c’est le cas pour tout le monde. La base est en agitation continuelle. On est vite très fatigué.
Ce n’est pas nécessairement un problème de manque de rigueur. Quand j’arrive dans ma chambre le soir, je ferme les volets. J’allume la toute petite loupiote de chevet et je passe la soirée à lire. Il n’est pas question d’allumer l’ordinateur le soir et de rajouter des difficultés d’endormissement. Et comme je suis fatiguée, oui, je m’endors.
Le problème vient des moments où on se réveille la nuit. Avec le décalage horaire, j’ai encore un sursaut de réveil vers 2h du matin heure locale. D’autres doivent aller aux toilettes ou peuvent se faire réveiller par un voisin. Et là, c’est le drame. La lumière passe partout comme s’il était midi : à travers les rideaux, sous la porte … On est alors pleinement réveillé pour un rien.
Couche d’ozone et coup de soleil
Mais même si la nuit revient au galop, la lumière est toujours présente car contrairement à l’année précédente, jusqu’à présent, on a eu un temps magnifique. Le mois de janvier 2024 se situe au 4ème rang des plus lumineux depuis 1991. L’insolation est excédentaire de 33,6 % par rapport à la normale. Du 12 au 18 janvier, le soleil a outrageusement dominé le ciel.
Sophie, la médecin de la TA74, nous le répète encore et encore. « Pensez à la crème solaire. » Ceux qui l’oublient sont vite rattrapés par la réalité. Ce n’est pas (encore) mon cas, mais les coups de soleil font très mal ici. C’est parce qu’on se trouve sous le trou de la couche d’ozone. Cette couche protège la surface terrestre et notre peau des rayons UV. Comme la concentration en ozone est plus faible en Antarctique, les coups de soleil sont plus fréquents.
Sols réfléchissants
Quand je suis arrivée sur la base, la glace recouvrait encore bien l’île des Pétrels et la banquise avait certes débâclé, mais les morceaux de glace couvraient encore l’océan. Les surfaces étaient bien réfléchissantes. Absolument tout était très lumineux. On est ébloui pour un rien.
Lors de ma passation avec l’ancienne équipe météo, tout le monde a mal aux yeux.
Dans notre dotation, il y a des lunettes de soleil. Je les garde accrochées à mon cou par leur cordon en permanence. Elles font parties de l’équipement nécessaire pour sortir au même titre que le bonnet ou les gants. Elles sont bien sur très noires et de type 4. Mes yeux ont tout de même beaucoup pleuré les premiers temps.
Je ne pense pas que je me sois habituée à la lumière. Mais à présent, la glace a bien fondu que ce soit sur l’île des Pétrels ou sur la mer. Je garde cependant cette routine le matin : 1/ je mets mes lunettes de soleil. 2/ j’ouvre mes rideaux.
Depuis 1955, les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) émettent leurs propres timbres. Chaque année, les dessins proposés sont examinées par les membres de la commission philatélique des TAAF, qui rend un avis au préfet (ou en l’occurrence à la préfète) sur une sélection au sein de laquelle il/elle retient les 15 à 20 projets de timbres qui sont alors mis en fabrication. Donc, les TAAF ont leurs propres timbres.
Courrier venant de et allant à DDU
Une gérance postale est installée dans chaque district des TAAF. Ainsi, il y a un bureau de poste à Dumont-d’Urville. Nous pouvons recevoir et envoyer du courrier.
Comme pour tout transport en Terre Adélie, l’acheminement des lettres dépend des glaces et ne se fait qu’en été austral (novembre-février).
La marcophilie, vous connaissez ?
Le gérant postal a pour mission le traitement du courrier de la base. Il appose un cachet d’oblitération postale (un tampon) sur l’ensemble des courriers au départ du district. La marcophilie des TAAF est particulièrement appréciée des collectionneurs : chaque mission scientifique, chaque expédition polaire possède son tampon souvenir. La majeure partie des corps de métiers (météorologue, géologue, ornithologue, médecin …) appose son tampon de mission sur les courriers au départ des bases.
Le tampon de la TA74
Le tampon de l’équipe
L’équipe météo en a un réalisé par la fille de Stéphane :
Mon propre tampon
De la même manière, je possède mon propre tampon, avec lequel je marque le courrier que j’envoie. Je l’ai dessiné moi-même sous GIMP.
Il a été approuvé par le préfet des TAAF. Je l’ai fait réalisé en bois et expédié en ligne en 2 jours pour un coût de 20 euros. Il fait 4 cm de diamètre.
J’ai donc envoyé du courrier.
J’ai donc envoyé plein de courrier ces derniers temps.