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PAS ENCORE TRADUIT VIE DE LA BASE

Nuit à DDU

Bilan de la période la plus sombre

J’écris ces lignes fin août. Nous sommes encore en plein hiver, donc les tempêtes s’enchaînent, mais le minimum de lumière (le 21 juin) est loin derrière nous. J’en profite donc pour faire un bilan de la période la plus sombre de notre hivernage.

Parlons des risques

Cassons tout de suite un préjugé. DDU est sur le cercle polaire (66° Sud), mais pas au-delà du cercle polaire. Nous n’avons pas vécu de nuit polaire, mais bien des journées très très courtes.

Tout le monde sait que la lumière c’est important. Mais on comprend pas combien c’est important avant d’en manquer. La lumière est essentielle pour la synthèse de la vitamine D et pour le rythme circadien. Les risques sont de la fatigue, mais aussi des difficultés à dormir, irritabilité, troubles alimentaires, musculaires et dépression.

Les symptômes se sont vite faits sentir dans l’équipe. Les résultats étaient en chute libre à la salle de sport. Les gens étaient moins disponibles pour faire des jeux. Il n’y avait pas davantage de disputes, mais moins de tolérance entre les hivernants et moins d’efforts aussi, en particulier pour aider les services bases (les tours de ménage). Pour ma part, j’ai ressenti une fatigue bien particulière. Imaginez que vous vous levez fatigués le matin, mais que la fatigue ne vous quitte pas de la journée. J’ai eu les pires crampes de ma vie, qui s’expliquent par un manque de vitamine D, mais aussi la déshydratation. J’ai aussi mal vécu d’entendre une litanie de plaintes émanées des canapés du séjour, comportement qui a complètement disparu depuis que le soleil est de retour. Je pense qu’il y a un lien.

Scène de la vie quotidienne dans la nuit antarctique

Je ne résiste pas à vous raconter une scène de la vie quotidienne dans l’obscurité de l’hiver antarctique. Un matin de juillet, je suis de veille, c’est-à dire que j’assure les tâches de prévisions et d’observations météorologiques. J’embauche à 7h pour les premières prévisions, puis je prends mon petit-déjeuner à 7h30. Comme d’habitude, à cette heure-là, il n’y a que C* au séjour. Il n’est pas content : toutes les machines à laver sont occupées. Je trouve le prétexte puéril, preuve que je ne suis pas bien lunée moi-même. Mais je laisse couler. S* arrive. « Ça va ? Bien dormi ? » – « Non ! Il y a des choses sur la base qui m’énervent ». Ambiance ! J’ai eu beaucoup de mal à l’écouter. Moi aussi, plein de choses m’énervent. Je ne prends pas la liberté d’embêter les gens avec ! Je retourne au bureau. Enfin seule ! Je prépare le ballon pour le radio-sondage. V* arrive au travail et ses premiers mots sont : « Journée de merde ! ». Ce matin-là, les trois premières personnes que j’ai vues étaient de très mauvais poil, pour des motifs ridicules. On est content quand le soleil revient.

  • *Je n’affiche pas les prénoms pour plus de discrétion

Des sorties, vitamine D et luminothérapie

Pour lutter contre ces problèmes, la médecin nous administre de la vitamine D tous les midis.

Sophie (la médecin) donne la becquée de vitamine D à Clément et Laurent

Elle nous a installé une lampe de luminothérapie dans le séjour et organise des sorties de quelques dizaines de minutes pour recaler notre rythme circadien. Et puis, on s’organise entre nous pour sortir randonner dès qu’on peut.

Randonnée sur les hauts de Bernard durant le jour le plus court. Il est midi.

Pour ma part, la fatigue matinale a disparu avec 30 min de luminothérapie au bureau le matin.

Midwinter, WIFFA et Jeux australiques

De façon générale, le manque de tonus des hivernants en hiver est bien connu. C’est pour cela que de nombreuses activités sont traditionnellement organisées au sein des bases, et entre les bases antarctiques.

La Midwinter

C’est une semaine de vacances où les hivernants de DDU organisent des activités. J’aurais pu en faire un billet de blog. Mais la Midwinter est décrite sur tous les blogs de DDU. C’était sympa et bon enfant. Avec mon équipe, on a organisé une chasse au trésor. On a fait une scène ouverte et une gay pride. On s’est bien amusés.

Midwinter

Jeux australiques

Il s’agit d’une compétition sportive entre les trois districts austraux (Crozet, Kerguelen, Saint Paul et Amsterdam), la base franco-italienne de Concordia, et celle Dumont d’Urville.

Les épreuves sont très nombreuses et il y en a pour tous les goûts : du crossfit à l’essuyage de vaisselle, du dessin à la chorégraphie. Toute la base a participé.

Cette année, DDU est arrivé deuxième.

WIFFA

Le festival du film antarctique ou Winter International Film Festival of Antarctica (WIFFA) est un festival cinématographique annuel ouvert exclusivement à ceux qui passent tout l’hiver en Antarctique ou dans les zones subantarctiques. Le festival produit des courts-métrages d’une durée maximale de 5 minutes et se divise en deux catégories :

  • le « 48h » qui se déroule généralement au cours de la première semaine d’août : le jour du début de la compétition, les stations participantes reçoivent une liste des cinq éléments qui doivent être inclus, et le film doit être prêt à être projeté dans les 48 heures qui suivent.
  • l' »Open » où tous les sujets sont autorisés.

Cette année, DDU a participé aux deux compétitions l' »Open » et le « 48h ». Je joue une méchante dans l' »Open » et j’ai participé aux montages. On attend encore les résultats.

En bref

Ce n’est pas un hasard si je ne parle du manque de lumière qu’à la fin de l’hiver. J’étais prise d’une grande flemme, qui a pris fin dès les premiers rayons de soleil à nouveau présent. C’est vite passé et je continue à trouver la nuit perpétuelle moins pénible que le jour perpétuel .

2 réponses sur « Nuit à DDU »

Bonjour Rachel,

Je te transmet tout mon « réconfort » pour ces moments délicats, c’est normal que cette période soit difficile, elle l’est pour beaucoup d’hivernants (moi compris…). L’autre période que j’avais eu du mal à appréhender, c’est le retour de A0. De laisser couler, si c’est possible et supportable, est effectivement la meilleure des solutions.

Sinon, petite digression sans importance sur le cercle polaire :
Le cercle polaire est un lieu uniquement géométrique, le complément à 90° de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. DDU est légèrement à intérieur de celui-ci (un peu moins de 20 km). Mais si on peut s’attendre géométriquement parlant à une nuit de 24h au solstice d’hiver, c’est sans compter le pouvoir de réfraction de l’atmosphère qui relève le soleil d’environ une fois son diamètre près de l’horizon. C’est pourquoi le soleil se lève toujours à DDU (quand on le voit), et qu’on a un mois de jour continu en décembre – janvier (alors que théoriquement on ne devrait avoir qu’un jour…)
Pour voir la nuit polaire complète au moins une journée, il faut s’enfoncer plus à l’intérieur du continent, vers 68/69° de latitude sud.

Je te souhaite un meilleur temps pour les jours à venir pour que vous puissiez profiter de sorties régénératrices !

à bientôt, Emmanuel TA72

Merci Emmanuel. Tout va bien ici. On a eu du très beau temps jusqu’au mois dernier. En parlant d’Antarctique, le commun des mortels pense « nuit polaire » : « Est ce que ce n’est pas trop dur la nuit polaire ? » C’est quelque chose qu’il faut expliquer aux néophytes : le soleil se voit toujours depuis DDU. Une amies suédoise était surprise qu’on soit si facilement dans la cercle polaire arctique depuis Stockholm, alors que moi en Antarctique, je n’y étais pas vraiment. J’en profite pour compléter l’explication de la persistence (et la hauteur) du soleil à l’horizon au solstice : l’atmosphère stable de l’hiver antarctique fait « guide d’onde » (comme une fibre optique) : on s’imagine que le soleil est droit devant nous (donc plutôt haut) alors que les rayons de lumière sont courbes et suivent la courbure de la terre en suivant préférentiellement une couche de température homogène (qui a un même indice optique). A très bientôt.

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