Cindy, Pierre et Gabriel sont les nouveaux hivernants de la station météo de Dumont d’Urville.
Cindy (la nouvelle responsable) et Gabriel au ballon lors de la passation !
Que c’était émouvant de les voir pour de vrai. J’ai beaucoup pensé à eux en préparant cette passation et maintenant, ils sont là ! Pleins d’enthousiasme et fin prêts !
Comme tous les ans en décembre, le soleil nous défonce les yeux.
C’est la dernière activité des hivernants. Celle que tout le monde veut faire. Les hivernants sortants (dont je fais partie) sont ultra-prioritaires. Mais entre les veilles météo, le mauvais temps, et les repos des ornithos… je n’ai pas pu y aller avant l’avant-dernier jour de manip’.
Je suis donc partie le 2 décembre, avec des néophytes : Lise, Narcisse (nouvelle boulangère) et Alex (pilote d’hélicoptère) et des experts : Doumé (spécialiste des transpondeurs), Léo (ornithologue campagnard), Natacha et Amandine (la nouvelle ornithologue hivernante) pour les professionnels. Nous sommes partis avec deux pulkas de matériel (le nécessaire pour les parcs était déjà sur place). Il faisait un temps magnifique.
Manchotière bien étalée
Les poussins des manchots Empereurs sont grands maintenant. Je les ai vu sortir de l’œuf, grandir, se faire attaquer par les skuas et les pétrels géants. Mais ça fait bien deux mois que je ne suis pas allée au Nunatak. La manchotière s’est beaucoup étalée. Les poussins mesurent 80cm et pèsent quelques 15kg. Ils se rassemblent en crèches et sont gardés par les quelques adultes qui restent quand les autres sont déjà repartis en mer pour se nourrir.
Installation du parc
A l’aide de quatre barrières très légères, on parque les poussins sans les adultes. On place une tablette en bois sur le parc pour les opérations de capture. On forme deux chaines de traitement.
Le parc avec la petite tablette.
Un ornithologue entre dans le parc et capture un poussin. Il le place sur la tablette et lui attrape le bec. De l’autre côté de la barrière, nous (les néophytes) passons sur la tête du poussin une chaussette qui lui cache les yeux, mais ne couvre pas le bec. L’ornithologue place le poussin dos à nous. Nous le prenons en mettant les bras sous les ailerons et le soulevons. Quand on a de la chance, il se débat jusqu’à ce qu’il ait les pattes en l’air. Sinon, quand on n’a pas de chance, il se débat tout le temps.
Léo attrape un poussin dans le parc
Comme le bec et les griffes des manchots sont libres de nous blesser, on porte les vareuses oranges (bien solides), des gants de travail (qui nous embêtent et qu’on enlève) et notre masque pour se protéger les yeux.
Les ailerons des manchots leur servent à se propulser dans l’eau quand ils nagent et chassent. Ils sont très fins, plats et forts. Nous maintenons les poussins sous les ailes pour éviter qu’ils ne se déboitent l’épaule en se débattant. Le corollaire est qu’ils battent des ailerons en se débattant et frappent nos avant-bras. C’est comme si on était frappé par un instrument en bois. Un plaisir …
On a deux chaines de travail
Une fois qu’on a un manchot dans les bras (et qu’il est calme), c’est mignon, doux et ça ne sent pas mauvais comme les manchots Adélie. Nous les apportons à une équipe d’ornithos. Léo (ou Doumé) prend le manchots par le torse, pendant que nous le tenons par les pieds. Le poussin bascule sur le ventre et Léo se met dessus. Il retire le duvet entre la queue et une patte. Passe le lecture de transpondage pour vérifier que l’oiseau n’est pas encore transpondé. Il désinfecte et utilise un genre de pistolet pour injecter une puce sous la peau de l’animal (comme les phoques). Le manchot ne sent rien à cet endroit et ne bouge pas du tout. Pendant ce temps, Amandine (ou Natacha) mesure le bec de l’oiseau avec un pied à coulisse.
Manchot sur le ventre, transpondage et mesure du bec
On reprend le poussin sur les genoux. Amandine lui mesure les ailes, quand Léo lui prélève quelques plumes au niveau du torse et tâte le ventre du manchot pour savoir si son estomac est plein. Puis Léo maintient l’aile droite quand Amandine désinfecte et fait une prise de sang. Léo met le poussin dans une capuche et le transporte jusqu’à une potence où on pèse l’animal. On marque l’oiseau au ventre et sur le bout des ailes avec de la peinture verte. Et on le libère. Pendant ce temps, Amandine a désinfecté tous les ustensiles et préparé le transpondeur.
Un de nous (néophytes) écrit dans un carnet l’heure, les mesures (bec, ailes, poids), les numéros de transpondeur, la prise de sang et/ou de plumes, le stade de mue et si le poussin a de la nourriture dans l’estomac. Un autre se repose en veillant à ce que les poussins du parc ne se fassent pas la malle.
On a fait deux parcs. Un contenait de petits poussins gentils. Un autre des adolescents prêts à partir en mer et qui voulaient en découdre. On s’est occupé de 33 poussins en une après-midi. Je comprends pourquoi les ornithologues sont fatigués. J’ai moi-même des bleus sur les bras. Comme toujours avec l’agence de voyage de DDU Biomar Tourisme, dirigée par les ornithologues du bâtiment Biomar de la Dumont d’Urville, on est allé le plus loin de la base qu’on pouvait (1 km) et on avait du gâteau et du chocolat chaud pour le 4h.
La photo argentique, c’est de la photo… tout du moins pour celles et ceux qui sont nés avant la photo numérique. Reste qu’il faut développer les pellicules : à DDU, il y a un labo photo.
Jeudi de la connaissance sur la photo argentique
Tout a commencé par un jeudi de la connaissance sur la photographie argentique proposé par Aubin (l’instrum’ de la base).
Il nous a parlé d’optique de base et de l’appareil argentique (entièrement mécanique), puis de la composition de la pellicule et de la chimie du développement de la photo. C’était très intéressant à tout point de vue.
Labo photo de Géophy
Question de génération
Je fais partie des vieux de DDU. Mais je comprends encore les références culturelles des plus jeunes, j’adhère à leurs valeurs progressistes et je regarde ou lis des mangas. Mais sur la photo … je me suis vue à l’âge que j’ai.
Mes premiers appareils photos étaient des jetables argentiques. Je sais ce qu’est une pellicule, qu’il ne faut pas l’exposer à la lumière, qu’il faut la développer, etc … Ce n’est pas le cas des plus jeunes sur la base. Pour eux, la « photo », c’est la photo numérique. « Comment est-ce vous développiez les photos ? » (Est-ce qu’on avait chacun une chambre de développement chez soi ? Non !) Nous portions les pellicules à des gens qui les développaient pour nous. Certains gardaient les pellicules dans leur frigos, etc … Tout un tas de pratique que les hivernants de 20 ans n’imaginent même pas.
Et surtout, le vocabulaire a changé sans que je ne m’en rende compte. La « photo » est devenue « photo argentique », quand la « photo numérique » est devenue « photo ». Nous sommes en 2024. Pour l’instant, le vélo est encore un mode de transport où l’on se propulse avec les jambes. Est-ce que bientôt « vélo » signifiera « vélo à assistance électrique », pendant que le vélo historique sera définitivement appelé « vélo musculaire » ?
Un appareil argentique
Aubin nous a proposé de nous prêter pendant une semaine l’appareil argentique de la station, ainsi qu’une pellicule qu’il préparait lui-même. Le conseil était d’utiliser toute la pellicule en une sortie. Puis, nous développerions ensemble cette pellicule. J’ai accepté.
Donc un jour de repos, je suis sortie sur la base pour faire ces fameuses photos. L’appareil était purement mécanique donc il fallait faire avancer la pellicule à la main entre chaque photo. La netteté était à régler à la main. Bien pratique, un curseur donnait une indication de luminosité qui permettait d’ajuster la vitesse. C’était bien agréable de sentir le miroir bouger dans l’appareil. Mais, il était entièrement métallique donc bien froid à l’extérieur même avec les gants … j’étais toujours en Antarctique.
L’appareil photo argentique de la base, dont l’objectif est maintenant protégé par un cache fabriqué par Aubin.
Développement
Et comme beaucoup de choses, j’ai laissé filé le temps. On a développé ma pellicule avec Aubin quasiment la veille de son départ (à R0). Les films sont restés pendus à sécher pendant quelques temps dans le labo-photo, déserté les premiers temps de la campagne d’été.
Tirage
Puis, j’ai tiré les photos avec Doumé (biologiste de la campagne d’été) quasiment la veille de mon départ (à R1). Doumé s’y connaît très bien. Il me ré-explique la théorie.
Le film de la pellicule est panchromatique : il est sensible à 300 nm-700 nm (tout le visible). Nous l’avons donc développé avec Aubin dans le noir le plus absolu. Par contre, le papier est uniquement sensible à 2 couleurs (au bleu et au vert) avec différentes sensibilités en fonction du papier. On peut le manipuler sous de la lumière rouge.
Trois étapes : révélateur, fixateur, bain arrêt et lavage
On fixe le papier photo à son support. On règle l’appareil en fonction du papier fournit (quelle quantité de vert et de bleu) et la mise au point en regardant le grain du papier photo. Puis, on fait passer la lumière à travers le négatif sur le papier photo. Mais pour quelle durée ?
Temps d’exposition
Pour regarder, le temps d’exposition, on fait un test de lumière : on prend une bande de papier photo qu’on éclaire par morceaux puis on tire la bande en la passant par des bains.
On est à DDU : Doumé n’est pas sûr de la qualité ou de l’âge des produits… Mais on prépare les bains : révélateur, bain d’arrêt et fixateur puis l’eau et les temps de trempage.
Il n’y a pas de réglage optimal. Il faut des noirs profonds et des blancs, alors c’est bien développé. Mes photos étaient sous-exposées (il y avait des nuages), je vais attendre 35s !pour être sure d’avoir des noirs profonds.
« Merci Doumé, je peux à présent me débrouiller toute seule ».
Après, j’ai enchaîné les tirages. Pour chaque négatif, photo par photo, en changeant les réglages, l’éclairage puis les bains. C’est amusant, mais c’est chronophage. Je ne pas pu travailler sur tous les négatifs. Ca reste très satisfaisant.
Il y a un médecin à DDU. Mais ce n’est pas suffisant.
En bonne santé
On est bien en forme pour aller en Antarctique. Nous avons passé des tests physiques et psychologiques. En théorie, il n’y a personne d’allergique sur la base. Mais comme les hivernants vivent un an dans des conditions de vie bien différentes de celles de la métropole, il faut être suivi. Et personne n’est à l’abri d’un accident.
Hôpital et Medics
Durant mon hivernage, il y a eu des accidents, des blessures bêtes (parce qu’il n’y a pas de façon intelligente de se faire mal), de l’usure ou des carences. Sophie (la médecin) classait les hivernants entre « ceux qui ont mal au dos et ceux qui ont mal au genou ». Moi, j’avais mal au dos.
Oui, il y a un hôpital à DDU. Un bloc opératoire rudimentaire, un cabinet dentaire, une salle d’examen, une pharmacie et un bureau dans le bâtiment 42. La médecin a été urgentiste de l’hôpital public en France. Elle a reçu des formations supplémentaires en secourisme, en dentaire, etc. Mais elle ne peut pas tout faire toute seule.
D’abord, elle n’est pas isolée de la métropole. En cas de doute, elle peut demander des conseils à ses collègues des TAAFs. Et puis, il y a la télémédecine… Ca, c’est un runing gag : tous les ans, les tests de connexion échouent. Quoi qu’il en soit, on n’opère pas tout seul. C’est pourquoi Sophie a formé des hivernants pour la seconder. Ce sont les « médics ». Mais il faut aussi des personnes formées au secourisme pour extraire et transporter des personnes potentiellement blessées jusqu’à l’hôpital, et des pompiers pour extraire des personnes de potentiels bâtiments en flammes.
Secourisme
Moi, j’étais secouriste, « rescue ». J’avais jusqu’à présent une formation de SST (Sauveteur, Secouriste du Travail) et une formation de travail en hauteur pour me sécuriser moi-même en altitude. Mais « rescue », c’est encore un autre niveau de complexité.
Extraction au Mont Rose : Natacha (ornithologue) et moi en train d’extraire un campagnard (dans la barquette) suivant les indications de Sophie (médecin) et Florent (lidariste)
On s’est beaucoup formé à faire des attelages pour extraire les gens sans (trop) se fatiguer et la méthode A B C D E pour dresser rapidement un bilan général de la situation (à transmettre au médecin) et d’identifier les points problématiques à traiter en priorité.
Pompiers
La base historique de Port Martin a brûlé en 1952. Les survivants se sont installés à DDU. On a très peur du feu à Dumont d’Urville. Sur la base, les bâtiments sont éloignés les uns des autres pour éviter une propagation du feu, alors que d’autres pays ont fabriqué des bases compacts pour éviter la déperdition énergétique (par exemple Neumayer).
Nous sommes tous formés à la manipulation d’un extincteur et six personnes sont formées à entrer dans un bâtiment en flamme et extraire quelqu’un. Moi, j’ai fais partie des gens qui les aidés à s’habiller.
Lise dans son habit de pompier (sans les bottes).
J’ai participé durant tout l’hivernage aux exercices et formations. Une fois tous les 15 jours, nous avions une formation « rescue » avec Sophie et une fois par mois, nous avions un exercice incendie avec Ugo. C’était un gros engagement pour certains. Il faut toujours un « médic » et des pompiers sur la base. Donc, les pompiers d’astreinte ne pouvaient pas sortir de la base pour partir en manip ou aller se promener comme ils l’entendaient.
Pour ma part, j’ai beaucoup aimé ces formations et exercices. Elles peuvent toujours servir.
Après deux grosses journées de veille, je suis contente que mes jours de repos commencent par une période de beau temps. Par beau temps, j’entends « pas de vent ». Début octobre est incroyable. Après le mois de septembre très venteux que nous avons eu, il y avait même du soleil. Plein d’activités se remettent alors très vite en place : les sondages de la banquise permettent d’étendre le périmètre de sécurité. Les biologistes partent à la recherche des phoques qui sont en train de mettre bas. Et l’équipe technique transfère du gasoil.
C’est quoi un transfert gasoil ?
En prévision de la campagne d’été, et du premier voyage (Raid) vers Concordia et des Raids scientifiques, l’équipe technique hivernante apporte le gasoil stocké sur la piste du Lion aux cuves de Cap Prud’homme sur le continent, soit à 6km de distance. Ils le font en roulant sur la banquise en tracteur.
Ils ont sondé la banquise, tracé et damé la route, sont allés chercher des cuves vides de 12m3, stockées à D3 sur le continent. La pente entre D3 et le niveau de la mer (D0) est raide, cela demande de sécuriser un tracteur Challenger par une dameuse. Le tracteur tracte la cuve et la dameuse retient le tout.
Piste entre la Piste du Lion et Cap Prud’homme
Les cuves de stockage de la piste du Lion sont vidées dans les cuves de transfert. Puis les Challenger font des allers-retours entre la piste du Lion et D0, où le gasoil est transféré vers d’autres cuves de stockage. Un Challenger tracte une unique cuve. Au total, il faut transférer près de 600m3 de gasoil.
Pour des questions de sécurité, personne n’est jamais seul sur la banquise. Pas même, ou surtout, un conducteur dans sa machine. Donc, entre les personnes qui pompent, celles qui transfèrent, qui doivent être à deux, celles qui sont de repos, celles qui surveillent encore la centrale… l’équipe technique (8 personnes) ne suffit pas. Ils ont besoin de monde.
J’avais l’intention d’y aller depuis des semaines mais après une longue phase de préparation, les techniciens sont allés très vite. C’étaient les derniers jours pour pouvoir participer à un transfert. J’ai candidaté.
En Antarctique, rien d’automatique
La veille au soir, je conviens avec Ugo, le responsable technique, que je rejoindrai l’équipe l’après-midi au niveau de la piste du Lion. Je serai avec Lise dans un Challenger. J’aiderai à mettre et enlever les remorques des cuves de gasoil.
Le matin, je suis de service base. Je fais le ménage des communs. J’ai préparé mes affaires pour l’après-midi : mon sac banquise, une tenue qui a un peu vécu, un goûter, des chaufferettes …
A midi, on est à peine une petite dizaine à table parce que tout le monde est en mission à l’extérieur (ils partent avec leur pique-nique). Et Lise m’annonce qu’elle ne part plus : le reste de l’équipe technique a bien avancé, ils ont refait le programme et partiront à deux Challengers l’après-midi. Lise apprend qu’elle n’est plus du voyage. En Antarctique, rien d’automatique.
Dahan (électricien) et Natacha (ornithologue) qui vient aider au transfert sur le Lion.
Je demande par radio à midi s’ils ont toujours besoin de moi. Mathis, le mécanicien me répond qu’ils m’attendent. Branlebas de combat : j’enfile ma VTN de travaille, je vais chercher ma radio, j’oublie au passage de prendre de l’eau et je laisse mon portable dans l’autre VTN, je cours jusqu’à la piste du Lion.
Je croise Ugo qui me dit que les gars jouent aux bonhommes, que si je suis fatiguée ou que j’ai froid, je peux rentrer. Je lui réponds que s’ils jouent aux bonhommes, je n’hésiterai pas jouer à la fifille.
Challenger
Laurent (second de centrale) m’attend tranquillement en mangeant son sandwich. La cuve est déjà attelée. Il m’explique comment l’attelage et le dételage de la cuve se font.
Un Challenger, c’est un tracteur de 15 tonnes avec des chenilles et 256 chevaux sous le capot. La dameuse fait toute petite face à un Challenger. On monte dans une cabine minuscule. J’avais vu les machines travailler au loin, mais je n’étais jamais montée dedans. Nos sacs « banquise » prennent beaucoup de place.
Manchots
On quitte la piste du Lion pour accéder à la banquise et là, nous tombons sur une colonne de manchot. Ça prend toujours quelques minutes, les manchots ont la priorité.
Manchots qui travers la piste entre la piste du Lion et la banquise
Les manchots Empereur passent préférentiellement par l’Anse du Lion pour aller du Nutatak, où se trouve leur colonie, à la mer, où se trouve leur nourriture. Ils se suivent en file indienne d’une dizaine d’individus en se dandinant. Quand on est à pied et qu’on attend un creux entre deux colonnes pour traverser, il arrive qu’un des manchots nous voit et se dirige vers nous parce qu’ils sont curieux. Ça peut alors devenir très compliqué parce qu’on n’a pas le droit de les approcher et que les individus peuvent restent bloqués devant nous sans bouger. Et on ne passe plus. Bref, il faut tout faire pour qu’ils restent focalisés sur leur objectif : du poisson. Moi, ma stratégie c’est de me cacher. On a moins ce problème avec les machines. Avec le bruit, ils s’activent même un peu plus. Vous avez dit « stress » ?
Manchots qui montent vers la piste du Lion. Ils se sont trompés de chemin et repartent vers la banquise
Avec Laurent, on s’est quand même dit que si on devait attendre 5 min à chaque passage, ça allait être long. Mais on a eu plus de chance sur les autres passages.
Sur la banquise
On roule à 30km/h sur la banquise sur les 5km qui nous séparent de Prud’homme. La glace de mer fait au moins 1,2m d’épaisseur mais, il reste que en dessous c’est l’océan. Les conducteurs n’y pensent pas. Pour eux, c’est une surface proche de la terre et donc plus agréable que la neige.
Dans le Chal’
On écoute SkuaRock, la WebRadio de DDU. C’est une playlist type ChérieFM, sans les commentaires ni les pubs. C’est étrange à entendre, ici en Antarctique, alors que je n’ai pas écouté la radio depuis un an. On regarde le paysage en parlant de la fin de la campagne et des futurs vacances.
Il fait un temps magnifique. Il fait toujours -10°C. On ne se fait pas d’illusion, mais le soleil réchauffe directement nos peaux (crème solaire) et nos vêtements. J’ai presque trop chaud.
A Cap Prud’homme.
Le 2 octobre, les dernières cuves arrivent à D0. On ne fait plus de transfert, mais on laisse les cuves sur place. Il faut se coordonner pour savoir où les mettre. Mathis et Geoffrey nous attendent à Prud’homme. Les manœuvres ne sont pas simples avec le peu d’espace et la neige qui s’ameublit. Mais les conducteurs sont habiles. Ils partent en marche arrière pour placer les cuves. Je n’aide pas à la manœuvre, mais j’accroche ou décroche les remorques. Je mets l’attache et je desserre la sangle à cliquet… bien grippée.
Toutes les cuves sont installées à D0.
Et j’ai pris le volant
Mathis a formé les autres techniciens à la conduite d’engins. Ses explications étaient bien rodées et dans une ligne droite, en roulant, à 20km/h, j’ai ouvert la portière, je suis sortie, il est sorti, je me suis mise à la place conducteur et j’ai pris le volant.
On a fait deux ou trois allers-retours avec Laurent, puis Mathis me dit : « Tu veux monter avec moi, je te fais conduire ». Je suis montée avec Mathis.
Vidéo de Mathis
Retour
Laurent et Mathis ont fini le dernier transfert tout seuls. Je suis rentrée avec Geoffrey en Challenger. On est passé faire le plein au hangar Engins et on est remonté à la base haute. A 18h, il fait frisquet. Le soleil commençait à disparaître. Par ciel clair, les températures passent de -10°C à -20°C très vite. C’était une excellente journée.
La nuit est de plus en plus présente à Dumont D’Urville. Ça nous permet de voir de plus en plus d’aurores, mais aussi un rayon vert dans le ciel. Il s’agit d’un faisceau laser. Florent (opto-électronicien ou lidariste pour nous) du LATMOS s’en sert pour étudier la stratosphère.
Stratosphère polaire
La stratosphère est la 2ème couche de l’atmosphère (après la troposphère). Elle débute entre 8 et 16 km (selon la latitude) et s’achève à 50 km d’altitude. C’est là que se trouve la couche d’ozone, entre 15 et 25 km. Cette couche est primordiale pour la vie sur terre, car elle absorbe les rayonnements ultraviolets et protège ainsi les organismes vivants à la surface.
Schéma théorique de composition de l’atmosphère.
Aujourd’hui, de nombreuses questions scientifiques cruciales exigent une connaissance approfondie des processus stratosphériques et de leur évolution à long terme.
En Antarctique, en hiver austral, le pôle ne reçoit pas de lumière solaire. Cela crée un important gradient de température entre les hautes et moyennes latitudes. La stratosphère polaire est alors isolée. Sans rayonnement solaire pendant l’hiver, la température chute, jusqu’à atteindre des extrêmes permettant des réactions chimiques spécifiques et en particulier, celles menant à la destruction de la couche d’ozone.
Trou de la couche d’ozone
La destruction hivernale de la couche d’ozone polaire a été découverte dans les années 1970-1980. Depuis, des efforts de recherche internationale majeurs ont été faits pour identifier les causes de ce trou de la couche d’ozone, menant en 1987 au Protocole de Montréal, interdisant les gaz chloro-fluoro-carbone (CFC).
Crédit IPEV
Cependant, il existe encore de fortes incertitudes sur le retour aux niveaux d’ozone pré-1980. Dans ce cadre, un lidar a été installé à DDU en 1989. Il fournit les mesures permettant l’étude des nuages stratosphériques polaire, et de l’impact sur les processus stratosphériques d’événements ponctuels, tels que le volcanisme ou les feux de biomasse.
Nuages stratosphériques polaires
Dans la stratosphère, il y a très peu d’eau, mais il y en a un petit peu, assez pour créer les Nuages Stratosphériques Polairies (PSC -Polar Stratospheric Clouds). Ils sont composés d’un mélange d’eau, d’acide nitrique et d’acide sulfurique, qui se combinent différemment selon les conditions atmosphériques, formant des cristaux plus ou moins gros, ou encore une solution liquide en surfusion. Ces nuages n’apparaissent qu’en hiver et dans le vortex polaire (isolés des masses d’air des moyennes latitudes), car ils ont besoin de températures suffisamment basses pour se former.
Nuages nacrés, probablement des PSC
Les PSC sont étudiés depuis les années 1880. Ils sont cruciaux dans les mécanismes de destruction de l’ozone stratosphérique. Ils permettent des réactions chimiques à leur surface. Ces réactions dites hétérogènes, entre deux phases, par exemple glace et air, et activent des réservoirs chlorés. En fin d’hiver, ils entraîneront une destruction catalytique de l’ozone. Sans PSC, donc sans ces réactions hétérogènes, il n’y aurait pas de destruction d’ozone.
Les mesurer permet de mieux définir leurs caractéristiques, de mieux les représenter dans les modèles atmosphériques et de mieux comprendre leur impact dans le changement climatique.
Longue série temporelle de mesure du lidar : une saison riche en PSC
Les aérosols
Les aérosols atmosphériques sont de fines particules en suspension dans l’atmosphère. Dans la stratosphère, ces aérosols sont présents toute l’année entre 15 et 25 km. Ils sont principalement soufrés, produits par des éruptions volcaniques, ou carbonés, générés par de gros feux de forêt. On étudie leur évolution et leurs interactions : comment est-ce qu’ils se rependent dans la stratosphère, et est-ce qu’ils influencent la formation des PSC ? D’autant qu’ils ont eux-même une chimie hétérogène qui peut entraîner la destruction d’ozone.
Le rayon rouge c’est la frontale de Lise
L’étude des aérosols ne passe pas que par les mesures lidar. La richesse des instruments satellitaires permet également de suivre leurs panaches et leur concentration, de même que les mesures in situ de ballons atmosphériques avec sonde-ozone.
Feux de biomasse
Les feux de forêt produisent des particules carbonées (contenant des atomes de carbone). Au cours des 20 dernières années, on s’est rendu compte que ces particules pouvaient atteindre la stratosphère. Depuis 2017, on sait que ces injections d’aérosols peuvent être de la même ampleur qu’une éruption volcanique modérée. Une fois passés dans la stratosphère, ces aérosols sont mesurés sur des durées inédites, comme les feux de forêts australiens de 2019-2020.
Leur présence inattendue dans la stratosphère pose de nouvelles questions sur nos connaissances de la stratosphère, d’autant que les feux de biomasse sont susceptibles d’être plus fréquents avec le changement climatiques.
Volcanisme
Les volcans émettent des particules soufrées (contenant des atomes de soufre). L’éruption du Hunga Tonga–Hunga Haʻapai est une éruption historique qui a eu lieu le 15 janvier 2022.
Éruption du Hunga Tonga–Hunga Haʻapai le 15 janvier 2022
Une quantité d’eau inédite a été injectée jusqu’à +50 km et a atteint la mésosphère. Le panache d’aérosol injecté s’est répandu dans les deux hémisphères.
C’est quoi un LIDAR ?
Les lidars, il y en a dans plein de domaines différents. Rien que dans les sciences atmosphériques, il y en a pour mesurer la vapeur d’eau, le vent, d’autres mesurent la topographie, etc. L’idée est toujours la même : on envoie une onde lumineuse et on voit ce qui revient.
Schéma de fonctionnement d’un lidar
Florent envoie un faisceau lumineux dans l’atmosphère. Ce qui revient vers son télescope a été réfléchi par l’atmosphère elle-même ou par des particules en suspension dans l’air.
Émission
Le faisceau initial contient 3 longueurs d’ondes : 532 nm (vert – c’est celui qu’on voit), 1064 nm (dans l’infra-rouge) et 355 nm (dans l’ultra violet). Florent a mis en place les mesures dans l’UV, lors de la campagne d’été de 2022. Le lidar émet à l’horizontale, le faisceau est réfléchi par un miroir (parfaitement réglé) pour le mettre à la (parfaite) verticale.
Lidar
Le signal n’est pas émis en continu. Le laser envoie des impulsions à 10Hz. Cela permet d’avoir une alternance de périodes d’émissions du faisceau par le laser et de réception de la lumière réfléchie par le télescope. A chaque tir, une partie importante du signal revient de la troposphère jusqu’à 6-8km. Cela n’intéresse pas Florent et pollue le signal. Il utilise un obturateur mécanique, qui est une roue trouée. Elle tourne vite (à 800Hz) et elle est finement synchronisée pour bloquer les périodes où le signal reçu revient de la troposphère.
Réception
Après avoir été réfléchie par l’atmosphère, les nuages et les particules, la lumière revient vers DDU. Nous ne voyons pas le signal réfléchi. C’est pourtant celui que Florent détecte à l’aide de son télescope.
Le télescope est un gros miroir convexe. Pour capter le maximum de signal, il a un large champ de vue conique. La lumière est envoyée sur des filtres (des lames séparatrices) qui redivisent physiquement chaque longueur d’onde. Des détecteurs comptent le nombre de photons et le tout est envoyé à une baie d’acquisition.
Séparation de la lumière réfléchie en différentes longueurs d’ondes.
Le signal de retour est très faible et invisible à l’œil nu. Comme l’air est moins dense dans la stratosphère que dans la troposphère, le signal qui revient de la stratosphère est d’autant plus faible. C’est pourquoi on utilise un laser le plus puissant possible et de très longues mesures : on somme le signal de retour sur 15min minimum (1h-1h30 pour être sûr) afin d’avoir un rapport signal sur bruit conséquent.
Le lidar produit une onde polarisée. Florent mesure la polarisation de l’onde qui revient. L’eau liquide ne modifie pas la polarisation de la lumière, alors que la glace oui. On peut ainsi savoir s’il y a de l’eau liquide dans les nuages. On peut également faire des hypothèses sur la composition de certains panaches d’aérosols sondés, selon les propriétés optiques mesurées.
Les données
Les données acquises ici sur les aérosols et les PSC ne sont pas comme les données météos transférées en temps réel mais « suffisamment souvent ». Le réseau NDACC (Network for Atmospheric Climate Changes) finance les mesures d’ozone un peu partout sur Terre. Les données de DDU y sont en accès libre. Elles servent ensuite, avec les mesures satellites et in situ, à améliorer les modèles numériques et à mieux comprendre le fonctionnement de la stratosphère.
La cuisine est gérée par Clément, le cuisiner et Juliette, la boulangère- pâtissière. Ils font preuve de créativité afin de garder le moral des troupes au plus haut ! C’est bon, varié et équilibré.
La cuisine, c’est important pour le moral. A DDU, on s’habitue à un certain luxe.
Pas comme ça tout les jours, mais parfois…
Charge mentale en moins
A DDU, personne n’a à se soucier des courses ou à préparer le repas. Le frigo est toujours plein. C’est l’équipe de cuisine qui s’occupe de tout. Le service a lieu tous les jours à heure fixe, sous forme de buffet (la plupart du temps).
A des milliers de kilomètres de tout supermarché, rien n’est bio, local ni de saison. Les denrées sont transformées, surgelées, déshydratées et nos produits frais, tels que les fruits et légumes, ne tiennent que quelques mois. Et pourtant c’est bon, varié et équilibré (la plupart du temps).
C’est bon et équilibré…
Durant la mid-winter, la cuisine était en pause. Ce sont les hivernants, qui à tour de rôle se sont occupés de la cuisine : on a eu une semaine de plats très bons, mais très riches. Ce n’est pas si simple de cuisiner peu gras, peu salé, peu sucré. Et c’est le cas avec les pros : on évite les frites tous les jours. On a des fruits toujours à disposition (jusqu’à pénurie). Tout le monde a sa dose de féculents et de protéines.
… mais Juliette, c’est le diable
Juliette prépare un dessert par jour. Faites le compte ! Il en faut des idées pour faire quotidiennement des desserts différents.
Juliette, c’est le diable. Ses desserts sont très parfumés sans que le sucre ne domine. Elle aime le beurre, mais elle donne à ses préparations un aspect léger et sain. Elle accompagne les gâteaux les plus bourratifs d’une petite compote ou une petite salade de fruit, pour les faire passer pour inoffensifs.
Certes, rien ne nous oblige à manger du gâteau tous les jours. Mais c’est compliqué de résister. Et il en reste toujours un peu dans le frigo pour le goûter ou le soir.
Presque du sur-mesure
On mange tous la même choses, à quelques détails près.
Il y a 8 personnes déclarées végétariennes sur le site. Je dis « déclarées » parce que j’en fais partie, et je ne suis pas strictement végétarienne. Je considère que je n’ai pas besoin de viande à tous les repas. Les œufs, les légumineuses et le soja, c’est bien suffisant comme source de protéine.
Wellington végétarien
Il n’y a pas d’allergies alimentaires à DDU. Ça fait partie des tests que l’on passe pour venir. Mais, il y a les goûts et les intolérances de chacun. De temps en temps, un peu d’un plat, sans oignon ou sans poivrons, est réservé pour les personnes qui n’en veulent pas. Et si le plat ne convient vraiment pas, il y a toujours la possibilité de piocher dans le frigo collectif du séjour.
Chacun son petit-déjeuner
Le café, c’est tellement sacré que c’est l’affaire du service-base : les personnes qui font le ménage et la plonge s’occupent aussi de préparer le café pour tout le monde. Ils s’en occupent la veille au soir pour le lendemain.
Le pain est prêt pour le matin. La personne de quart de nuit (quand elle y pense) s’occupent d’apporter ce qu’il faut pour la petit-déjeuner. On arrive au compte-gouttes et comme à l’hôtel. Puis chacun se sert suivant ses habitudes : thé, café, chocolat, sirop ou jus de fruit, pain/beurre, céréales ou petits gâteaux et barres céréales.
Pas de gaspillage
Bien sûr, il y a des restes. Les plats sont filmés après chaque repas et mis dans le frigo collectif du séjour. Les ornithologues qui reviennent de mission, les promeneurs qui reviennent de balade, les techniciens qui se réveillent tard après un quart de nuit, tous cherchent leur repas dans le frigo.
Mercredi Best-of
Les mercredi et les dimanche soir, on mange les restes. C’est tellement bon qu’on appelle ça des « best of ». On pioche un peu de ceci ou de cela au gré des envies du moment. Et c’est seulement après quelques jours, qu’on jette les restes au broyeur. Les quantités de nourriture cuisinée puis jetée sont très faibles.
Confitures et compote maison
Les fruits se gâtent vite. Ça fait mal au cœur. On sait qu’un jour, on en n’aura plus. A présent, il ne reste que des pommes et des oranges. Pour en profiter le plus longtemps possible, on les cuisine. On fait des compotes et des salades d’oranges. Mais régulièrement, on tombe sur des caisses de fruits partiellement moisies et là, on jette.
La cuisine collective
Préparation collective d’une compote (en face au centre Clément et Juliette)
On participe facilement à la cuisine. D’abord, il y a les travaux collectifs, les manip’ vivres où on transporte les denrées des magasins au séjour. Ensuite, on vient couper des légumes (quand il y en avait des frais) ou faire des confitures ou des compotes sous la direction du chef.
Participer
Cette année, on a beaucoup de chance, la cuisine est ouverte. On y entre comme dans un moulin, parce qu’il y a quelqu’un et parce qu’il fait plus chaud que dans le séjour. On peut y cuisiner ce qu’on a envie au son de la compagnie Créole et faire des suggestions ou y prendre des leçons de cuisine : comment faire des croissants ou lever des filets.
Ils ont bien levé les croissants que j’ai aidé à faire, non ?
Les petits plus qui changent du quotidien
La vie sur base, c’est un subtil mélange de quotidien et d’exceptionnel. C’est beaucoup le cas autour de la cuisine.
Goûters le mercredi après-midi
Si l’équipe technique fait une pause tous les jours à 10h, ce n’est pas le cas du reste des hivernants. Par contre, tout le monde respecte le goûter du mercredi à 16h. On fait même un appel radio pour l’occasion.
Goûter crêpes en campagne d’été
C’est toujours différent : depuis les gaufres, aux brioches et aux crêpes, qu’on accompagne de crème fouettée, de chocolat et de caramel maison (Juliette, c’est le diable).
Viennoiseries le samedi matin
Bien plus traditionnel le samedi matin, Juliette fait des croissants, des pains au chocolat, des pains au raisins. Ça encourage sans doute à se lever. On est déçu quand il n’y en a pas.
Le samedi soir
Les plats sont sains et équilibrés… sauf le samedi soir. On mange debout des sushis, des bruschettas, des hamburgers… avec un thème particulier et des jeux associés.
Brunchs du dimanche matin
De temps en temps (une fois par mois), c’est brunch le dimanche matin. Il commence vers 10h30. Pour l’occasion, il y a tous les types de petit-déjeuner, les viennoiseries et des pancakes et du sirop d’érable et un service à la demande d’œufs sur le plat, bacon, saumon, etc. Ça n’arrange pas toujours les personnes comme moi qui travaillent tous les dimanche et doivent attendre 10h30 le petit-déjeuner.
Brunchs
Les évènements particuliers
Dès qu’on peut fêter, on fête : Noël et Pâques, toutes les commémorations et tous les anniversaires.
Pour son anniversaire, généralement on fait un apéritif. On choisit le plat et le type de gâteau. On souffle les bougies au milieu d’un chœur chantant « Joyeux anniversaire ». On a plein de cadeaux fait-main à DDU.
Des quantités impressionnantes
Autonomie
A DDU, le bateau de ravitaillement nous quitte en février et revient fin novembre. Tout ce qu’on mange est arrivé durant la campagne d’été. On vit en autonomie sur les réserves stockées dans deux magasins le « -20″(°C) et le « +4 ».
Une toute petite idée des quantités
Voici quelques chiffres (merci Clément) pour vous donner une idée :
Lait : 600 l
Viande/charcuterie congelée : 4 tonnes (c’est énorme, mais on est censé avoir 2 ans de réserve en cas de problème)
Poissons/fruits de mer : 900 kg
Légumes congelés : 3 tonnes
Huile de tournesol : 600 l
Huile d’olive : 475 l
Riz : 330 kg
Pâtes : 300 kg
Total des différentes farines : 2,3 tonnes
Des inventaires et des passations
L’équipe d’une année fait les commandes pour l’équipe suivante et l’IPEV fait des commandes systématiques. Mais chaque équipe de cuisine à ses propres habitudes. Sur des mois de consommation, les petites manies font de grosses quantités.
Dans le frigo à -20°C.
Par exemple, Clément n’utilise pas de soupe déshydratée. Mais il se pourrait bien que l’IPEV commande quelques kilos de soupe déshydratée parce qu’ils estiment qu’on en passe toujours un peu.
S’il faut chercher de la nourriture perdue, c’est surtout-là.
Les pénuries
Plus ça va, et plus certains aliments disparaissent. On n’a plus de bananes, kiwi ou mangue depuis le tout début de l’hivernage. On n’a plus certains fromages, certaines confitures ou pâtes à tartiner. Loin des yeux, loin du cœur ! Je ne ressens pas de manque pour l’instant. On verra ce que ça fait de les voir revenir en décembre.
Certaines denrées sont encore présentes, mais menacées. Si on gère mal les stocks, on pourrait finir par manquer de fromage ou de lait. C’est spécifique à chaque année : un chocolat chaud le matin, c’est 200 ml, soit 1,5 l par semaine par personne. Suivant le nombre de personnes qui boivent du chocolat chaud le matin, les stocks peuvent être larges ou insuffisants, d’une année sur l’autre.
Mes confitures kiwi, bananes, poire
Et puis, il y a ce qu’on peut fabriquer sur place. Parlons des yaourts. Vue les dates de péremption des yaourts, vous vous doutez que nous mangeons des yaourts périmés depuis quelques mois maintenant. On pourrait fabriquer des yaourts ici. Mais cela demande du lait et on manque de lait. Rien n’est magique : il faut transporter plus de lait spécifiquement pour fabriquer les yaourts et plus de fioul pour cuire les yaourts. C’est bien plus économe de transporter des yaourts tout fait.
Et le bar dans tout ça ?
Bon, moi, je ne bois pas. Si, si. Rien du tout. Mais le bar est central dans la vie de la station. L’alcool est payant et rationné depuis peu, alors on en parle beaucoup. Ça vaut sans doute le coup d’en parler dans un autre billet de blog.
Le travail, c’est la moitié du temps, voire beaucoup moins. Alors qu’est ce qu’on fait le reste du temps ? On randonne (on a beaucoup de chance cette année il fait très beau). On fait du sport (parce qu’on a peu d’activité physique par ailleurs). On apprend des trucs (un autre métier, une langue étrangère, etc.). On regarde des films (pas tant que ça finalement). Et puis on joue. On joue beaucoup à DDU.
Jeux de société
Bien sur, il y a les traditionnels jeux de société. Depuis les échecs jusqu’au scrabble, on se remet aux jeux de société qu’on avait pas touchés depuis l’enfance.
Armoire à jeux de société
Ensuite, il y a les autres jeux de société. Les plus modernes. Des jeux coopératifs ou des jeux de stratégie, de deux joueurs à 10 joueurs. On s’initie aux jeux de rôle. Ceux parmi nous qui étaient des gros joueurs avant de venir sont d’énormes joueurs à DDU : Killian et Natacha jouent 1h30 par jour en moyenne.
Tester des nouveaux jeux entre midi et deux
Sport ludique
En intérieur, le séjour fait la part belle au baby foot, billard et au ping-pong. C’est parfois un problème : certains font leur sieste postprandial dans le séjour, c’est incompatible avec le ping-pong par exemple.
Billard et baby-foot
En extérieur, on fait de la luge ou de la pétanque. Je n’ai moi-même testé ni l’un ni l’autre.
Soirées
Tous les samedis soir, c’est soirée. Je n’y assiste qu’un week-end sur deux, parce que je suis de veille météo un dimanche sur deux. Et de toute façon, jamais je n’arriverai à tenir jusqu’à 6h du matin comme certains.
Course de chars
Dans les soirées, on organise des lotos, des blind-tests … On se déguise, on fait des karaokés, des jeux stupides de groupe et bien sûr des jeux à boire.
Ce lundi 26 février 2024, c’est le départ de R4. L’Astrolabe a fait un dernier arrêt éclair (4 jours) à DDU, histoire de récupérer les dernières personnes qui étaient ici.
On a dit au revoir le matin aux scientifiques et aux campagnards qui partaient. Ils nous ont quitté par une petite embarcation à 9h pour rejoindre l’Astrolabe.
Après une semaine de vent fort, c’est par une journée magnifique que l’Astrolabe a appareillé. De toute façon, l’Astrolabe ne peut pas manœuvrer dans l’Anse du Lion par plus de 25kt (45km/h).
Toutes les rotations ont été compliquées. Cette fois-ci, après que la météo se soit améliorée, c’est un problème technique sur le petit bateau qui aurait pu retarder le départ. A ce stade, il y avait toujours l’hélicoptère pour faire des rotations. Mais finalement tout le monde a pu prendre le bateau en temps et en heure. En Antarctique, rien d’automatique.
Puis l’Astrolabe est parti faire un tour, laissant quelques campagnards d’été sur le Lion. Ils ont passé encore quelques heures à démonter le quai d’accostage de l’Astrolabe, puis à ranger les machines sur la piste du Lion.
Du côté des hivernants, on était content de les voir partir. On leur a fait au revoir le matin au départ des scientifiques et le soir quand l’Astrolabe est revenu chercher les campagnards.
On attendait la fin de la campagne d’été et le début de l’hivernage. On a fêté cela par d’autres fumigènes et du champagne. Et après quelques dernières blagues échangées à la radio avec l’Astrolabe, on est rentré à la base haute.
La configuration de la salle commune a changé dès aujourd’hui. Le réfectoire n’a plus besoin d’être aussi grand : Nous ne sommes plus que 24. Donc des jeux et une salle cinéma ont envahi le séjour.
Ouf… un peu de nuit.
DDU est toujours aussi beau. Juste plus calme.
Retour sur la campagne d’été
Vous êtes nombreux à me demander comment ça se passe la vie sur place. Comment se passe la cohabitation avec les autres et de quoi se constituent les repas…
Et bien la campagne d’été a été très dense et fatigante. Mais j’ai plein de choses à raconter. Je le ferai sur le blog bientôt, en plus de raconter l’hivernage.
C’est un peu étrange, j’imagine, de parler de la lumière pour le premier article de blog sur la vie sur la base. Mais c’est sans doute quelque chose dont vous ne vous doutiez pas : l’Antarctique, en été, c’est très lumineux.
Jour perpétuel
On parle beaucoup de la nuit perpétuelle. Elle affecterait notre humeur. Sans doute pour nous rendre apathique. Ça, je ne l’ai pas encore vécu. Mais qu’en est-il de la journée perpétuelle ? Quand je suis arrivée à DDU, la nuit se réduisait à quelques minutes.
Manque de sommeil
C’est compliqué de dormir parce qu’avec la luminosité, on ne sent pas la fatigue. Et c’est le cas pour tout le monde. La base est en agitation continuelle. On est vite très fatigué.
Ce n’est pas nécessairement un problème de manque de rigueur. Quand j’arrive dans ma chambre le soir, je ferme les volets. J’allume la toute petite loupiote de chevet et je passe la soirée à lire. Il n’est pas question d’allumer l’ordinateur le soir et de rajouter des difficultés d’endormissement. Et comme je suis fatiguée, oui, je m’endors.
Le problème vient des moments où on se réveille la nuit. Avec le décalage horaire, j’ai encore un sursaut de réveil vers 2h du matin heure locale. D’autres doivent aller aux toilettes ou peuvent se faire réveiller par un voisin. Et là, c’est le drame. La lumière passe partout comme s’il était midi : à travers les rideaux, sous la porte … On est alors pleinement réveillé pour un rien.
Couche d’ozone et coup de soleil
Mais même si la nuit revient au galop, la lumière est toujours présente car contrairement à l’année précédente, jusqu’à présent, on a eu un temps magnifique. Le mois de janvier 2024 se situe au 4ème rang des plus lumineux depuis 1991. L’insolation est excédentaire de 33,6 % par rapport à la normale. Du 12 au 18 janvier, le soleil a outrageusement dominé le ciel.
Sophie, la médecin de la TA74, nous le répète encore et encore. « Pensez à la crème solaire. » Ceux qui l’oublient sont vite rattrapés par la réalité. Ce n’est pas (encore) mon cas, mais les coups de soleil font très mal ici. C’est parce qu’on se trouve sous le trou de la couche d’ozone. Cette couche protège la surface terrestre et notre peau des rayons UV. Comme la concentration en ozone est plus faible en Antarctique, les coups de soleil sont plus fréquents.
Sols réfléchissants
Quand je suis arrivée sur la base, la glace recouvrait encore bien l’île des Pétrels et la banquise avait certes débâclé, mais les morceaux de glace couvraient encore l’océan. Les surfaces étaient bien réfléchissantes. Absolument tout était très lumineux. On est ébloui pour un rien.
Lors de ma passation avec l’ancienne équipe météo, tout le monde a mal aux yeux.
Dans notre dotation, il y a des lunettes de soleil. Je les garde accrochées à mon cou par leur cordon en permanence. Elles font parties de l’équipement nécessaire pour sortir au même titre que le bonnet ou les gants. Elles sont bien sur très noires et de type 4. Mes yeux ont tout de même beaucoup pleuré les premiers temps.
Je ne pense pas que je me sois habituée à la lumière. Mais à présent, la glace a bien fondu que ce soit sur l’île des Pétrels ou sur la mer. Je garde cependant cette routine le matin : 1/ je mets mes lunettes de soleil. 2/ j’ouvre mes rideaux.