La nuit est de plus en plus présente à Dumont D’Urville. Ça nous permet de voir de plus en plus d’aurores, mais aussi un rayon vert dans le ciel. Il s’agit d’un faisceau laser. Florent (opto-électronicien ou lidariste pour nous) du LATMOS s’en sert pour étudier la stratosphère.
Stratosphère polaire
La stratosphère est la 2ème couche de l’atmosphère (après la troposphère). Elle débute entre 8 et 16 km (selon la latitude) et s’achève à 50 km d’altitude. C’est là que se trouve la couche d’ozone, entre 15 et 25 km. Cette couche est primordiale pour la vie sur terre, car elle absorbe les rayonnements ultraviolets et protège ainsi les organismes vivants à la surface.

Aujourd’hui, de nombreuses questions scientifiques cruciales exigent une connaissance approfondie des processus stratosphériques et de leur évolution à long terme.
En Antarctique, en hiver austral, le pôle ne reçoit pas de lumière solaire. Cela crée un important gradient de température entre les hautes et moyennes latitudes. La stratosphère polaire est alors isolée. Sans rayonnement solaire pendant l’hiver, la température chute, jusqu’à atteindre des extrêmes permettant des réactions chimiques spécifiques et en particulier, celles menant à la destruction de la couche d’ozone.
Trou de la couche d’ozone
La destruction hivernale de la couche d’ozone polaire a été découverte dans les années 1970-1980. Depuis, des efforts de recherche internationale majeurs ont été faits pour identifier les causes de ce trou de la couche d’ozone, menant en 1987 au Protocole de Montréal, interdisant les gaz chloro-fluoro-carbone (CFC).

Cependant, il existe encore de fortes incertitudes sur le retour aux niveaux d’ozone pré-1980. Dans ce cadre, un lidar a été installé à DDU en 1989. Il fournit les mesures permettant l’étude des nuages stratosphériques polaire, et de l’impact sur les processus stratosphériques d’événements ponctuels, tels que le volcanisme ou les feux de biomasse.
Nuages stratosphériques polaires
Dans la stratosphère, il y a très peu d’eau, mais il y en a un petit peu, assez pour créer les Nuages Stratosphériques Polairies (PSC -Polar Stratospheric Clouds). Ils sont composés d’un mélange d’eau, d’acide nitrique et d’acide sulfurique, qui se combinent différemment selon les conditions atmosphériques, formant des cristaux plus ou moins gros, ou encore une solution liquide en surfusion. Ces nuages n’apparaissent qu’en hiver et dans le vortex polaire (isolés des masses d’air des moyennes latitudes), car ils ont besoin de températures suffisamment basses pour se former.

Les PSC sont étudiés depuis les années 1880. Ils sont cruciaux dans les mécanismes de destruction de l’ozone stratosphérique. Ils permettent des réactions chimiques à leur surface. Ces réactions dites hétérogènes, entre deux phases, par exemple glace et air, et activent des réservoirs chlorés. En fin d’hiver, ils entraîneront une destruction catalytique de l’ozone. Sans PSC, donc sans ces réactions hétérogènes, il n’y aurait pas de destruction d’ozone.
Les mesurer permet de mieux définir leurs caractéristiques, de mieux les représenter dans les modèles atmosphériques et de mieux comprendre leur impact dans le changement climatique.

Les aérosols
Les aérosols atmosphériques sont de fines particules en suspension dans l’atmosphère. Dans la stratosphère, ces aérosols sont présents toute l’année entre 15 et 25 km. Ils sont principalement soufrés, produits par des éruptions volcaniques, ou carbonés, générés par de gros feux de forêt. On étudie leur évolution et leurs interactions : comment est-ce qu’ils se rependent dans la stratosphère, et est-ce qu’ils influencent la formation des PSC ? D’autant qu’ils ont eux-même une chimie hétérogène qui peut entraîner la destruction d’ozone.

L’étude des aérosols ne passe pas que par les mesures lidar. La richesse des instruments satellitaires permet également de suivre leurs panaches et leur concentration, de même que les mesures in situ de ballons atmosphériques avec sonde-ozone.
Feux de biomasse
Les feux de forêt produisent des particules carbonées (contenant des atomes de carbone). Au cours des 20 dernières années, on s’est rendu compte que ces particules pouvaient atteindre la stratosphère. Depuis 2017, on sait que ces injections d’aérosols peuvent être de la même ampleur qu’une éruption volcanique modérée. Une fois passés dans la stratosphère, ces aérosols sont mesurés sur des durées inédites, comme les feux de forêts australiens de 2019-2020.

Leur présence inattendue dans la stratosphère pose de nouvelles questions sur nos connaissances de la stratosphère, d’autant que les feux de biomasse sont susceptibles d’être plus fréquents avec le changement climatiques.
Volcanisme
Les volcans émettent des particules soufrées (contenant des atomes de soufre). L’éruption du Hunga Tonga–Hunga Haʻapai est une éruption historique qui a eu lieu le 15 janvier 2022.

Une quantité d’eau inédite a été injectée jusqu’à +50 km et a atteint la mésosphère. Le panache d’aérosol injecté s’est répandu dans les deux hémisphères.
C’est quoi un LIDAR ?
Les lidars, il y en a dans plein de domaines différents. Rien que dans les sciences atmosphériques, il y en a pour mesurer la vapeur d’eau, le vent, d’autres mesurent la topographie, etc. L’idée est toujours la même : on envoie une onde lumineuse et on voit ce qui revient.

Florent envoie un faisceau lumineux dans l’atmosphère. Ce qui revient vers son télescope a été réfléchi par l’atmosphère elle-même ou par des particules en suspension dans l’air.
Émission
Le faisceau initial contient 3 longueurs d’ondes : 532 nm (vert – c’est celui qu’on voit), 1064 nm (dans l’infra-rouge) et 355 nm (dans l’ultra violet). Florent a mis en place les mesures dans l’UV, lors de la campagne d’été de 2022. Le lidar émet à l’horizontale, le faisceau est réfléchi par un miroir (parfaitement réglé) pour le mettre à la (parfaite) verticale.

Le signal n’est pas émis en continu. Le laser envoie des impulsions à 10Hz. Cela permet d’avoir une alternance de périodes d’émissions du faisceau par le laser et de réception de la lumière réfléchie par le télescope. A chaque tir, une partie importante du signal revient de la troposphère jusqu’à 6-8km. Cela n’intéresse pas Florent et pollue le signal. Il utilise un obturateur mécanique, qui est une roue trouée. Elle tourne vite (à 800Hz) et elle est finement synchronisée pour bloquer les périodes où le signal reçu revient de la troposphère.
Réception
Après avoir été réfléchie par l’atmosphère, les nuages et les particules, la lumière revient vers DDU. Nous ne voyons pas le signal réfléchi. C’est pourtant celui que Florent détecte à l’aide de son télescope.
Le télescope est un gros miroir convexe. Pour capter le maximum de signal, il a un large champ de vue conique. La lumière est envoyée sur des filtres (des lames séparatrices) qui redivisent physiquement chaque longueur d’onde. Des détecteurs comptent le nombre de photons et le tout est envoyé à une baie d’acquisition.

Le signal de retour est très faible et invisible à l’œil nu. Comme l’air est moins dense dans la stratosphère que dans la troposphère, le signal qui revient de la stratosphère est d’autant plus faible. C’est pourquoi on utilise un laser le plus puissant possible et de très longues mesures : on somme le signal de retour sur 15min minimum (1h-1h30 pour être sûr) afin d’avoir un rapport signal sur bruit conséquent.
Le lidar produit une onde polarisée. Florent mesure la polarisation de l’onde qui revient. L’eau liquide ne modifie pas la polarisation de la lumière, alors que la glace oui. On peut ainsi savoir s’il y a de l’eau liquide dans les nuages. On peut également faire des hypothèses sur la composition de certains panaches d’aérosols sondés, selon les propriétés optiques mesurées.
Les données
Les données acquises ici sur les aérosols et les PSC ne sont pas comme les données météos transférées en temps réel mais « suffisamment souvent ». Le réseau NDACC (Network for Atmospheric Climate Changes) finance les mesures d’ozone un peu partout sur Terre. Les données de DDU y sont en accès libre. Elles servent ensuite, avec les mesures satellites et in situ, à améliorer les modèles numériques et à mieux comprendre le fonctionnement de la stratosphère.
3 réponses sur « Un rayon vert en Antarctique »
Hello Rachel. Merci de partager tout ça.
La news du jour en Antarctique, c’est aussi une anomalie de T° de plus de 20°C. Je suppose que ça change beaucoup de choses dans le fonctionnement habituel de DDU? Comment gérez-vous ça, logistiquement…et émotionnellement?
Bises
Salut Laurent,
Pas d’anomalie aussi spectaculaire à DDU. On a une anomalie froide de 2°C depuis mars. Ici plus c’est froid mieux c’est. Par contre juillet est plus chaud, due à une série de tempêtes. J’attends la fin du mois avant de donner des chiffres.
J’ai vu passer ce post (https://x.com/SergeZaka/status/1818201851851874536/photo/2) évoquant une anomalie chaude de +28 à +32°C dans certains points de l’Antarctique, le 30/7. Cela semblait localisé, mais la moyenne sur la zone est mauvaise malgré tout: Juillet semblait catastrophique.
Donc vous êtes au frais, tant mieux! Vous sortez équipés comme des cosmonautes?
À Najac et alentours, quelques bons pics de chaleur mais un été assez clément finalement.